Un remède dangereux pour les télécommunications
Article publié dans Les Échos le 2 juillet 2008.
Les eurodéputés doivent se prononcer, en juillet, sur les nombreuses mesures du nouveau paquet télécoms. Celles-ci visent officiellement à susciter davantage de concurrence et de dynamisme à ce secteur. Mais elles peuvent constituer des remèdes inappropriés risquant d’avoir des effets contraires.
Les eurodéputés doivent se prononcer, en juillet, sur les nombreuses mesures du nouveau paquet télécoms. Celles-ci visent officiellement à susciter davantage de concurrence et de dynamisme à ce secteur. Mais elles peuvent constituer des remèdes inappropriés risquant d’avoir des effets contraires.
C’est le cas de la « séparation fonctionnelle » proposée par Viviane Reding. La commissaire européenne à la Société de l’information et aux Médias souhaite donner aux régulateurs nationaux le pouvoir d’imposer la séparation des opérateurs historiques (les anciens monopoles) en deux entités distinctes : l’une étant chargée de gérer les infrastructures de réseau et l’autre d’offrir les services à ses clients.
Ce type de solution vise à empêcher les anciens monopoles de pratiquer une discrimination envers leurs concurrents. Il apparaît cependant comme un remède de cheval.
La Grande-Bretagne est souvent citée en exemple pour démontrer la pertinence d’une réorganisation aussi draconienne et coûteuse. Mais il est pourtant loin d’être concluant. Dans ce pays, le dégroupage (la location de la boucle locale par des opérateurs alternatifs) n’a pas connu beaucoup de succès dans les premières années après l’ouverture de l’accès en 2001. C’est cet échec qui a notamment motivé le recours à une séparation fonctionnelle de BT (anciennement British Telecom) et de l’entité Openreach, créée pour gérer le réseau.
Depuis, le nombre de boucles locales louées a explosé. Mais ce phénomène, loin d’être spécifique à la Grande-Bretagne, a touché tous les pays européens. Et force est de constater que d’autres pays ont atteint des niveaux de dégroupage plus élevés avec des méthodes différentes. C’est notamment le cas de l’Allemagne et de la France, qui n’ont pas eu recours à la séparation fonctionnelle.
La séparation fonctionnelle pourrait par ailleurs causer un tort considérable à l’industrie et aux consommateurs en compromettant les investissements dans les réseaux d’accès en fibre optique qui doivent remplacer graduellement les boucles locales en cuivre. Ce qui permettra l’émergence d’offres d’accès à très haut débit. L’équipement en fibre optique des foyers ne se fait pas partout de façon systématique. Un opérateur n’investit dans le déploiement coûteux de son réseau de fibre qu’après avoir identifié des zones où les perspectives de commercialisation permettent de rentabiliser ses investissements à plus ou moins long terme.
Or une désintégration verticale de l’opérateur historique a inévitablement pour conséquence de briser la coordination entre les décisions d’investissement et les impératifs de mise sur le marché des services de détail. On obtient à la place une structure monopolistique artificiellement créée par la régulation, chargée du déploiement d’un réseau de fibre mais dépourvue de toute incitation à le faire. Le déploiement, s’il a lieu, ne peut alors résulter que d’un processus purement administratif, indépendant de toute logique de marché.
C’est justement ce qui se passe en Grande-Bretagne, où le ministre de la Compétitivité, Stephen Timms, a lancé une mise en garde en septembre 2007 sur le retard britannique en matière de réseau de fibre optique des foyers par rapport à des pays comme les États-Unis, la France, l’Allemagne, le Japon et la Corée du Sud.
Le dynamisme de l’industrie française et européenne des télécommunications dépend des centaines de milliards d’euros qui y seront investis au cours des prochaines années. Ce secteur n’a pas besoin de plus d’incertitude et de lourdeur réglementaire, mais de stabilité et de flexibilité. Comme les législateurs européens, le législateur français devrait y penser à deux fois avant de retenir ce type de solution.
Martin Masse est chercheur associé à l’Institut économique Molinari et ancien conseiller du ministre canadien de l’Industrie (2006-2007).