Le vrai danger pour le salarié, ce n’est pas l’actionnaire mais la fiscalité
Pour Cécile Philippe et Nicolas Marques, respectivement présidente et directeur général de l’Institut économique Molinari, « plus la fiscalité est lourde, plus il y a de modération salariale, voire des pertes d’emploi ». Or, « la France compte autant d’impôts de production que 23 pays de l’Union européenne réunis ». Interview par Raphaël Legendre, publié dans L’Opinion du 10 juin 2020.
Raphaël Legendre : On oppose souvent actionnaires et salariés. Que nous apprend votre 3e édition de la contribution sociale et fiscale des entreprises du CAC40 sur ce point ?
Nicolas Marques : Les entreprises ont besoin des salariés comme des actionnaires et font en sorte de concilier les intérêts des uns comme des autres. La vraie opposition réside entre les individus et la fiscalité. Les entreprises ne payent pas d’impôt en tant que telles, elles répercutent le coût de la pression fiscale sur les personnes physiques, consommateurs, salariés ou épargnants. C’est le principe de « l’incidence fiscale ». Comme la France produit plutôt des produits peu différenciants, elle ne peut augmenter fortement ses prix de vente. Du coup, une partie du poids de la fiscalité est reportée sur les salariés. Plus la fiscalité est lourde, plus il y a de modération salariale, voire des pertes d’emploi. Le coût des impôts peut aussi être répercuté sur les actionnaires, qui comparent le rendement après impôts. Les entreprises sont alors contraintes de faire plus d’efforts pour compenser le poids de la fiscalité française.
Cécile Philippe : Le vrai danger pour le salarié, ce n’est pas l’actionnaire mais la fiscalité. De la production aux dividendes, elle est tellement lourde en France que cela incite les employeurs à modérer les salaires et parfois à délocaliser, pour bénéficier d’une fiscalité moins pénalisante. D’où l’importance de baisser les impôts, pour redonner du pouvoir d’achat aux salariés.
R.L. : La répartition salaire, impôts et dividendes a-t-elle beaucoup bougé en trois ans ?
N. M. : Pas vraiment. Les impôts de production qui pèsent sur les entreprises avant même leur premier euro de bénéfice sont toujours aussi lourds. Avec environ 75 milliards de rendement, ils représentent 3,2 % du PIB en France, contre 1,6 % du PIB en moyenne dans l’Union européenne et 0,4 % du PIB en Allemagne. La France compte autant d’impôts de production que 23 pays de l’Union européenne réunis, Allemagne compris. Une vraie subvention aux importations.
C. Ph. : Le Conseil d’analyse économique (CAE) a rédigé une note très critique sur le sujet, qualifiant ces impôts d’« antiéconomiques ». Maurice Lauré [haut fonctionnaire français, fiscaliste] ne disait pas autre chose dans les années 1950. C’est pour cela qu’il a créé la TVA. Notre empilement de la fiscalité sur les entreprises est délétère. C’est l’archétype d’une fiscalité antiéconomique.
R.L. : Les impôts sont quand même plutôt orientés à la baisse depuis quelques années…
N. M. : L’impôt sur les sociétés (IS) a diminué, mais sa trajectoire de baisse a été retardée pour les grandes entreprises, qui irriguent l’ensemble de l’activité économique. En prenant en compte la Contribution sociale sur les bénéfices de 3,3 %, ces dernières avaient toujours l’an passé le taux d’IS le plus élevé de l’OCDE (32 %), bien loin des 25 % promis par Emmanuel Macron lors de l’élection présidentielle. En dépit du prélèvement forfaitaire unique (PFU) sur les revenus du capital, qui a été une très bonne chose, chaque euro de bénéfice reste plus lourdement taxé en France.
C. Ph. : Dans les dix dernières années, les recettes des administrations françaises ont progressé deux fois plus vite que dans l’Union européenne. Nous avons davantage augmenté les impôts après la crise de 2008 et les avons moins baissés depuis. C’est un cercle vicieux : on maintient des impôts élevés pour réduire les déficits, cela pèse sur la croissance et empêche d’accélérer la réduction des déficits, etc.
R.L. : Au vu des dépenses engagées dans la crise du coronavirus, peut-on imaginer baisser la fiscalité aujourd’hui ?
C. Ph. : C’est fondamental pour préserver l’emploi et permettre aux entreprises tricolores de ne pas être handicapées par rapport à leurs concurrents étrangers. Le problème en France, c’est que nous ne sommes jamais capables de revenir à l’équilibre quand la conjoncture le permet. C’est culturel. Mais entre deux maux, il faut choisir le moins mauvais. Il faut absolument que la machine économique reparte. Si l’on n’est pas capable de produire plus de richesses, nous garderons nos déficits.
N. M. : Notre déficit est la preuve que le rapport qualité/prix des services publics est médiocre. Les autres pays arrivent à faire fonctionner leurs écoles, leurs hôpitaux ou à distribuer des retraites sans déficit. Avec plus de concurrence, des fonds de pensions pour baisser le coût des retraites, nous aurions moins de problèmes.