Pas de relocalisations sans baisse de la fiscalité
Une vraie politique de relocalisation industrielle ne peut réussir qu’avec un alignement de la fiscalité sur la moyenne européenne. Texte d’opinion par Nicolas Marques, directeur général de l’Institut économique Molinari, publié dans L’Express.
Hasard de calendrier, deux démarches publiques se croisent. Le 19 novembre, Bercy dévoilait des projets de relocalisation dans le cadre du plan France Relance, l’occasion de dire que les choses vont dans le bon sens. Dans le même temps France stratégie, la boite à idées rattachée à Matignon, dévoilait un rapport très critique sur l’action de l’Etat, incapable de créer un contexte favorable à l’épanouissement industriel. Deux démarches radicalement différentes on l’espère à terme complémentaires, l’une privilégiant l’immédiateté, l’autre invitant à mieux prendre en compte les enjeux à long terme.
Du côté de Bercy, l’heure est aux messages positifs. Le Ministère de l’économie vient de sélectionner 31 projets dans la santé, l’agroalimentaire, l’électronique, les intrants ou la 5G. Ils vont recevoir 140 millions de soutiens publics pour relocaliser sur le territoire des activités jugées stratégiques. Selon le gouvernement, cette démarche s’inscrit dans une politique de réindustrialisation et d’attractivité de la France, avec une baisse des impôts de production de 10 milliards par an et 12 milliards pour des investissements et projets de relocalisation. Pour ses promoteurs, Bruno Le Maire et Agnès Pannier-Runacher, « La relocalisation, ce n’est pas un slogan, c’est notre pays qui prend conscience de ses forces et qui décide de son destin ».
Le travail publié par France Stratégie le même jour montre qu’il faudra aller bien plus loin pour concrétiser cette promesse. Ce rapport inédit sur les politiques industrielles en France dresse le constat chiffré de notre déclin. La France est devenue le pays le plus désindustrialisée du G7 avec le Royaume-Uni. Il analyse les causes de cet échec, en soulignant les responsabilités de l’Etat. L’importance de la fiscalité et sa hausse sur les dernières décennies est visée, mais aussi l’incapacité structurelle de l’Etat à créer un contexte global favorable au développement industriel.
Pour France Stratégie, en dépit des efforts faits « La fiscalité est le facteur principal du défaut d’attractivité français ».
L’industrie française reste soumise à des prélèvements obligatoires supérieurs à ceux prévalant dans les autres secteurs ou chez nos voisins européens. D’où l’importance de la baisse des taux d’imposition sur l’outil de production et sur les bénéfices.
Le groupe de réflexion gouvernemental assortit son analyse de chiffrages très parlants. Si l’Hexagone était capable de ramener ses impôts de production dans la moyenne de l’Union européenne, notre part dans les créations de sites de production par des multinationales non européennes augmenterait de 18 %. Si la France était capable de ramener son impôt sur les sociétés dans la moyenne de ses voisins de l’Union européenne, notre part dans l’accueil des sièges sociaux de multinationales augmenterait de 70 %.
Sur ces deux sujets clefs, en dépit des discours rassurants, les choses avancent très lentement. La C3S a été maintenue pour une partie des entreprises, alors qu’en 2014 le Pacte de solidarité et de responsabilité prévoyait sa suppression en 2017. L’impôt sur les sociétés n’est toujours pas redescendu à 25 %, alors qu’il s’agissait d’une promesse de compagne d’Emmanuel Macron en 2017. Une baisse des impôts de production est prévue pour 2021, mais elle se limite à 10 milliards d’euros, alors qu’il faudrait une réduction de 35 milliards d’euros pour revenir dans la moyenne européenne.
Pourtant, ces fiscalités fonctionnent comme des subventions aux délocalisations et aux importations. Elles expliquent l’internationalisation bien plus prononcé des entreprises françaises.
Leurs investissements directs à l’étranger représentaient 57 % du PIB en 2019 (contre 45 % en Allemagne) et leurs effectifs à l’étranger équivalaient à 62 % de l’emploi industriel Hexagonal (contre 26 % en Allemagne). Même en tenant compte des crédits d’impôts, et notamment du Crédit impôt recherche, l’écart de compétitivité avec l’Allemagne représentait 8 points de valeur ajoutée dans le secteur manufacturier. Pour se développer nos entreprises s’expatrient, faute de disposer d’un cadre favorable dans l’Hexagone.
Pour France Stratégie « Alors que les responsables politiques de tous bords affichent régulièrement leur soutien à l’industrie, il s’avère que le pays a fait le choix collectivement d’en faire un secteur plus taxé que les autres ». Le groupe de réflexion public est aussi très critique à l’égard des démarches sectorielles conduites par les pouvoirs publics. Il note que « Les secteurs industriels où le poids de la France dans la concurrence internationale a relativement moins décru, ou s’est même maintenu, ne sont pas ceux qui ont le plus fait l’objet de l’attention des politiques publiques, à l’exception notable de l’aéronautique et du spatial ».
L’Etat devrait éviter de tomber dans le piège des politiques verticales, visant à soutenir certaines entreprises ou certains secteurs, et s’en tenir aux politiques industrielles horizontales. Son rôle est de créer un environnement favorable au développement des entreprises, avec des fiscalités et réglementations adaptées.
Une analyse qui rappelle celle de Loïk Le Floch-Prigent, un grand connaisseur de l’industrie comme des limites de l’action publique. Dans son dernier livre, Pour une France industrielle, il insiste sur les éléments clefs permettant de conserver voire de redévelopper l’écosystème français : des hommes et des femmes ayant une logique entrepreneuriale et industrielle, un capital patient, un drainage de l’épargne des français vers l’économie avec des fonds de pensions, des fiscalités et réglementations compatibles avec le développement économique.
On ne peut donc que recommander à nos décideurs publics d’abandonner les politiques de subventions en faveur d’acteurs ou de secteurs.
Nous n’avons pas besoin d’un Etat interventionniste s’immisçant dans la tactique, l’expérience a montré amplement que cela ne fonctionne pas. En revanche, nous avons besoin d’un Etat garant d’un cadre global compatible avec le développement économique, l’innovation et la création d’emplois. C’est cela un Etat stratège et efficace.