Mittal-Arcelor: l’hostilité de l’OPA ne se trouve pas là où on la croit
Article publié par l’Agefi le 10-11-12 février 2006.
À en croire les réactions à la nationalité de Lakshmi Mittal et quant à son «absence de projet industriel», l’Europe serait en danger. L’OPA de l’indien Mittal sur Arcelor est assimilée à une invasion étrangère, prélude à une désindustrialisation. L’ancien premier ministre français Michel Rocard en a tiré une leçon: «L’Union européenne doit interdire les OPA sur son territoire à tout groupe dont 20% de l’activité ou plus viennent d’ailleurs» (Libération du 7 février). Si la plupart des commentateurs ne sont pas allés jusqu’au bout de leur logique comme M. Rocard, il ne fait aucun doute que le renforcement des réglementations entravant les OPA est à l’ordre du jour.
Décrire des opérations sur les marchés financiers en termes de pays conquérant et conquis fait cependant perdre de vue ce qui est en jeu dans cette affaire, et mène à des conclusions infondées. Les OPA visent à acheter des titres de propriété. Aucune invasion n’a lieu dans de telles opérations. Par contre, les mesures de «défense» relèvent de l’expropriation partielle d’actionnaires européens par des gouvernements européens, à l’avantage des managers en place, ainsi protégés de la nécessité de servir ceux qui les emploient.
Il faut deux adultes consentants pour faire un échange. Par conséquent, lorsqu’une tierce partie interdit à l’étranger d’acheter un titre détenu par un Français ou un Luxembourgeois, il interdit à ce dernier de vendre son titre au premier. Puisqu’un droit de propriété inclut normalement le droit de s’en défaire auprès de quiconque voudra l’acquérir, l’actionnaire «bien de chez nous» se retrouve partiellement exproprié, non par un quelconque «prédateur» étranger mais par l’Etat dont il est le sujet. Si «hostilité» il y a dans cette histoire d’OPA, elle n’est pas là où on croit. D’ailleurs, un examen serein de ce que le jargon de la finance appelle une «OPA hostile» devrait attirer notre attention sur ce qui se passe en coulisse.
Le caractère «hostile» d’une OPA est simplement la qualification que donne l’équipe dirigeante en place à la proposition s’adressant aux actionnaires. La raison d’être d’une telle réaction est simple: l’équipe managériale actuelle est sur la sellette. En cas de rachat, elle pourrait bien être remplacée parce que l’acheteur estime que l’entreprise pourrait être mieux gérée, améliorant ses résultats financiers et faisant ainsi monter le cours de ses actions en Bourse. C’est la raison même pour laquelle il est prêt à l’acheter! Il doit estimer qu’une meilleure rentabilité est possible que celle reflétée dans la capitalisation actuelle de l’entreprise, sans quoi il ne s’y intéresserait pas.
Ainsi, la menace d’OPA a l’immense avantage, du point de vue de la santé financière des entreprises concernées, de pousser le conseil d’administration et toute l’équipe managériale à servir au plus près leurs employeurs, les actionnaires. En bloquant les transferts des titres de propriété, les Etats ne peuvent qu’entraver la concurrence entre prétendants à la gestion de ces grandes entreprises, donnant ainsi une prime aux moins compétents, facilitant des comportements opportunistes de leur part et leur permettant d’obtenir des salaires déconnectés des services qu’ils rendent.
Si les commentateurs hostiles aux OPA tiennent aux «fleurons de l’industrie européenne», ils devraient être intéressés par leur saine gestion. Des mesures anti-OPA n’y contribueront pas.
Xavier Méra est chercheur associé à l’Institut Economique Molinari.