Stratégie Zéro Covid: éradiquer plutôt qu’atténuer, la seule solution
En France, nous avons 42 fois plus de décès et un recul du PIB 5 fois plus important par rapport aux pays riches qui éliminent depuis douze mois le virus (Australie, Nouvelle-Zélande). Texte d’opinion par Cécile Philippe, présidente de l’Institut économique Molinari, et Nicolas Marques, directeur général de l’Institut économique Molinari, publié dans L’Opinion.
Nous fêtons tristement confinés l’anniversaire de la pandémie Covid-19 dont, après douze mois de d’efforts intenses, nous n’avons pas encore su nous libérer. Nous poursuivons en France, comme dans de nombreux pays occidentaux, une stratégie d’atténuation. Appliquée dans les cas de pandémie grippale, elle vise autant que faire se peut à éviter la saturation de nos systèmes de santé. En vain.
Ceux-ci sont régulièrement débordés et les pouvoirs publics édictent des mesures toujours plus strictes pour limiter les contacts physiques qui propagent le virus. Nombreux sont ceux qui continuent de penser que cette stratégie d’atténuation fonctionnerait mieux si on augmente le nombre de lits ou lorsque les vaccins seront enfin disponibles pour tous. Ce pari est risqué. Il ne prend pas la mesure du défi à l’œuvre et ne nous rapproche pas des valeurs auxquelles nous tenons par-dessus tout : bouger, échanger, collaborer.
En dépit des piètres résultats de la stratégie en œuvre, nos pouvoirs publics continuent de croire qu’en augmentant les moyens de soigner les malades de la Covid, on pourra lever les mesures de restrictions qui visent à éviter la circulation de la pandémie. Cette idée ne prend pas la mesure des choses. D’une part, la santé en France ne manque pas de moyens financiers, mais souffre davantage d’une allocation inadéquate des moyens. Même avec plus de moyens ou une meilleure allocation des ressources, nous ne pourrions pas faire face à un virus aussi contagieux sans changer nos habitudes. Les calculs indiquent que le virus se propagerait d’un jour à l’autre par un facteur situé entre 1,1 et 1,22. Si bien qu’au bout de trois mois, si on l’avait laissé faire, la Covid aurait pu contaminer une grande partie de la population faute de réaction collective.
Penser que l’on pourrait vivre normalement si l’on avait des lits supplémentaires sous-estime cette dynamique du virus. Les moyens hospitaliers sont nécessaires mais totalement insuffisants pour faire face au tsunami de malades qu’une circulation libre provoquerait.
Campagnes vaccinales. Les vaccins peuvent-ils à eux seuls rendre l’atténuation efficace et durable ? Nombre de données disponibles aujourd’hui laissent penser que ce vœu n’est pas plus réaliste. Outre le fait que les campagnes de vaccination prennent un temps certain et que la population française est, en partie, réfractaire aux vaccins, les variants émergent à grande vitesse. Certains pourraient être capables de contourner les anticorps naturels et créés par les vaccins, nous condamnant à une course contre la montre qu’il est n’est pas certain que nous puissions gagner, au moins à court terme. Tant que la pandémie ne sera pas jugulée, les mobilités et interactions sociales ne retrouveront pas les niveaux usuels, indépendamment des mesures sanitaires décidées par les autorités.
Face à cette situation, sommes-nous condamnés à accepter les décès et le déclin économique et social ? Rien n’est moins sûr si nous nous inspirons d’une autre stratégie connue pour lutter efficacement contre les maladies infectieuses : la stratégie d’élimination dite Zéro Covid. La bonne nouvelle aujourd’hui, c’est qu’elle a été tentée avec succès dans toute une série de pays ayant nos valeurs. Elle est non seulement faisable mais elle atteint des résultats sanitaires et économiques largement supérieurs à ceux constatés en Europe.
La stratégie d’élimination du virus est une stratégie qui rapporte gros. En France, nous avons 42 fois plus de décès et un recul du PIB cinq fois plus important par rapport aux pays riches qui éliminent depuis douze mois le virus (Australie, Nouvelle-Zélande) ou s’en rapprochent (Corée du Sud). Ces pays ont accepté, comme nous, dans un premier temps d’arrêter la mobilité pour éliminer le virus. Puis, contrairement à nous, ils ont préservé l’énorme sacrifice qui avait été fait par leurs populations, en le valorisant comme un investissement précieux. Ils ont rétabli méthodiquement la mobilité au sein de zones dites vertes qu’ils ont protégées des zones contaminées.
Stop-and-go délétère.
La participation à la vie économique et sociale est fonction de la confiance que les individus ont de pouvoir les mener sans courir le risque de tomber malade, de contaminer les autres et voir les services de santé débordés. Aussi, ce ne sont pas seulement les mesures de restrictions décidées par les pouvoirs publics qui réduisent la mobilité. Les décisions volontaires des individus, qui face à une circulation élevée du virus se retirent en partie de la vie sociale, jouent un rôle clef.
D’une manière générale, le FMI estime que, dans les pays développés, les choix individuels de distanciation sociale expliquent plus de la moitié de la chute de la mobilité, avant les mesures de réduction de mobilité imposées par les pouvoirs publics.
Les mobilités professionnelles et de loisirs ont été bien mieux préservées dans les pays poursuivant la stratégie Zéro Covid que dans les autres. La dernière étude de l’Institut économique Molinari à partir notamment de données mobilité de Google montrent que la fréquentation des « lieux de travail » recule moins dans les pays qui appliquent la stratégie Zéro Covid. Elle diminuait de 14 % au 2e trimestre 2020, contre -36 % dans les pays du G10 qui n’appliquent pas cette stratégie. Les pays Zéro Covid ont gardé un avantage significatif avec une réduction de mobilité de 15 % en janvier-février 2021, contre 28 % dans les pays du G10 qui n’appliquent pas cette stratégie. Même constat côté loisir avec un recul de 14 % versus 35 %.
Ces mobilités permettent de préserver les modes de vies et les interactions. Elles expliquent aussi les performances économiques supérieures durables des pays Zéro Covid en termes de PIB. Au 4e trimestre 2020, les pays Zéro Covid avaient quasiment retrouvé une activité économique normale avec un recul du PIB faible (- 1,2 % par rapport au 4e trimestre 2019) contre -3,3 % dans les pays du G10 qui ont laissé la circulation virale repartir et connaissent des mouvements de yoyo successifs dont nombre d’économistes reconnaissent qu’ils sont délétères.
De plus en plus de voix reconnaissent que sur le plan économique, le stop-and-go auquel nous nous condamnons faute d’une vision stratégique est très pénalisant.
Qu’il s’agisse de la Banque mondiale, du FMI, des économistes Philippe Aghion (Collège de France), Patrick Artus (Natixis), Christian Gollier (Toulouse School of Economics), de plus en plus de voix reconnaissent que sur le plan économique, le stop-and-go auquel nous nous condamnons faute d’une vision stratégique est très pénalisant. Sur le plan sanitaire, elle l’est aussi puisque la stratégie n’empêche pas les décès.
La stratégie d’élimination – accompagnée des vaccins, des tests, du traçage, de l’isolement et du traitement des malades – est une stratégie antifragile telle que la décrit le philosophe et essayiste Nassim Taleb. Dès le début de la pandémie, il recommandait de frapper fort et vite. Cette stratégie aligne nos intérêts économiques et sanitaires et permet de retrouver réellement les libertés, avec des interruptions limitées aux épisodes localisés de résurgence du virus.
Les avantages de la stratégie sont tels que cela mérite de s’y arrêter que l’on établisse un dialogue avec les pays qui mettent en œuvre la stratégie. C’est à la fois moins de décès, des économies qui se portent mieux, des populations moins handicapées par des restrictions de mobilité, des campagnes de vaccination progressives et organisées, moins de personnes présentant des symptômes de longue durée dits Covid long, le maintien des écoles ouvertes sans compromettre la santé des enfants et celle de leurs enseignants et moins de risques de voir apparaître des variants du fait de l’absence de contamination.
A terme, c’est la possibilité de rétablir des couloirs de mobilité. Des avantages qui méritent qu’on fasse, enfin, l’analyse économique et sociétale qui s’impose, au lieu de s’épuiser et de se démoraliser avec des illusions assorties de restrictions à durée indéterminée.