Régimes spéciaux de retraite : séparons le bon grain de l’ivraie
Alors que flotte toujours dans l’air l’idée de supprimer les régimes spéciaux, Nicolas Marques, directeur général de l’institut économique Molinari, rappelle que, derrière ce terme général, se cachent des réalités diverses. Chronique publiée sur Capital.fr.
Officiellement, le président de la République entend remettre en ordre les retraites en “s’attaquant” aux régimes spéciaux avant 2022. Cette démarche d’uniformisation est souvent présentée comme relevant de la justice et de la bonne gestion, la collectivité n’ayant pas à payer pour des particularismes s’assimilant à des avantages catégoriels. Mais la réalité est bien plus complexe.
Prise au sens strict, la notion de régimes spéciaux désigne les régimes dont bénéficient les employés d’entreprises publiques, certaines branches ou professions. Parmi ces régimes, certains sont particulièrement déficitaires, et dépendent de subventions d’équilibre, tandis que d’autres sont particulièrement bien gérés. Supprimer ces derniers ne rendrait service ni aux finances publiques ni aux contribuables qui les alimentent.
Certains régimes spéciaux sont, en effet, des modèles de gestion prévoyante. C’est le cas de la Banque de France, des caisses des personnels du Sénat et des sénateurs ou de l’Établissement de retraite additionnelle de la fonction publique (Erafp). Leur particularité est d’avoir recours à la capitalisation, ce qui permet d’alléger le coût des retraites. Au lieu de les financer intégralement par des prélèvements obligatoires, ces institutions financent les retraites grâce aux gains générés par les placements financiers. Les pensions, en partie financées par le rendement du capital, mobilisent donc moins d’argent public. À lui seul, l’Erafp a généré 15 milliards de gains pour les cotisants et retraités de la fonction publique depuis le début de sa gestion en 2006.
Certains régimes spéciaux sont, en effet, des modèles de gestion prévoyante.
Ces régimes n’ont rien à voir avec des régimes spéciaux reportant sur le contribuable leur imprévoyance. Ils n’ont pas des dérapages comme ceux des caisses de retraite de la RATP, de la SNCF ou des industries gazières, dont la moitié des prestations (11 milliards par an) est financée par des subventions d’équilibre (5,5 milliards). Les régimes spéciaux ayant recours à la capitalisation sont aussi radicalement mieux gérés que les retraites des fonctionnaires. L’État a imprudemment démantelé les caisses de retraite de ses ministères dès 1853 et généralisé le financement des retraites par le budget, une méthode coûteuse et inflationniste pour le contribuable. Si l’on appliquait au secteur public les règles du privé, avec des cotisations représentant 28 % des salaires bruts, contre 85 % pour les fonctionnaires civils, le déficit des retraites publiques aurait été de 50 milliards d’euros en 2020, soit 5 fois plus que les déficits des salariés et contractuels.
Prise au sens plus large, la notion de régime recouvre aussi des réalités bien diverses avec, là encore, des réussites méritant d’être soulignées et préservées. L’Agirc-Arrco ou la caisse des pharmaciens (CAVP) ont, par exemple, eu la sagesse d’adopter des mécanismes permettant de préserver les équilibres financiers (les points), de constituer des réserves, voire dans le cas des pharmaciens de faire monter en puissance une couche de capitalisation épaulant la répartition. Ces régimes sont bien plus prévoyants que le régime général (Cnav) qui n’a ni les mécanismes internes permettant d’éviter l’apparition de déficit, ni les réserves pour éviter que les déficits ne génèrent des dettes.
Supprimer les régimes ayant des réserves ou capitalisant serait contre-productif.
De même, l’Agirc-Arrco ou la CAVP sont bien plus prévoyants que l’État qui dépouille périodiquement le Fonds de réserve des retraites (FRR). Cette institution a généré 12 milliards de gains pour la collectivité dans les dix dernières années. La prudence impliquerait de le sanctuariser et la bonne gestion de le réabonder pour mettre à profit le différentiel de rendement entre ses placements et le coût de la dette publique.
On le voit bien, supprimer les régimes ayant des réserves ou capitalisant serait contre-productif. Ils réduisent les risques, font économiser de l’argent public et disposent d’une gouvernance efficace, en prise avec les enjeux professionnels, élément clef risquant de disparaître dans le cadre d’un régime “universel”.
L’État devrait veiller à ne pas déstabiliser les régimes de retraites bien gérés et se focaliser sur ses régimes spéciaux déficitaires (RATP, SNCF, industries gazières…). Il devrait aussi imposer aux différentes administrations de provisionner les retraites de leurs personnels, à hauteur des surcotisations des employeurs publics. Ce serait une révolution copernicienne légitime. Jusqu’à présent, l’État employeur a été incapable de se projeter dans l’avenir en matière de retraites, en anticipant les pensions de ses personnels. Il est grand temps que cela change.