L’empire des dettes de Bill Bonner et Addison Wiggin
Article publié exclusivement sur le site de l’Institut économique Molinari.
Ce livre a été publié en français juste avant l’éclatement de la bulle immobilière. C’est en partie ce qui en fait son intérêt car les deux auteurs avaient parfaitement prévu l’explosion de cette bulle à partir d’un diagnostic éloquent concernant la politique monétaire et financière du gouvernement américain. Leur analyse s’inscrit dans une vision plus large du fonctionnement de la société américaine au cours du siècle dernier. Pour eux, les Etats-Unis sont entrés dans la phase déclinante de l’empire qu’ils sont devenus et la crise actuelle n’est que le symptôme de ce déclin.
Nouriel Roubini s’est rendu célèbre en anticipant la crise bien avant l’heure quand de très nombreux autres économistes et hommes de pouvoir ne l’avaient tout simplement pas vu venir. D’autres que lui – comme Georges Selgin, Mario Rizzo, Guido Hülsmann etc. – l’avaient pourtant prévue et expliquée. Il s’agit des économistes du courant économique dit autrichien dont les chefs de file sont Ludwig von Mises et Friedrich Hayek (prix Nobel d’économie en 1974). Déjà dans les années 30, ces auteurs avaient pris leur bâton de pèlerin pour expliquer en quoi la Grande dépression était avant tout un phénomène politique et monétaire et que le meilleur moyen d’y mettre fin était justement de cesser la manipulation de la monnaie par les autorités, en particulier les banques centrales. Ils expliquent que la création monétaire (via la banque centrale et les banques commerciales) induit des malinvestissements mis en œuvre par des entrepreneurs bernés par un taux d’intérêt faible. Tôt ou tard ce taux doit remonter et ces malinvestissements liquidés. Le diagnostic de la crise actuelle n’est pas différent et c’est aussi ce qu’affirment Bonner et Wiggin.
Dans le chapitre 13 intitulé «Bienvenue à Squanderville[[Le terme squander en anglais signifie gaspiller.]]», les deux auteurs soulignent que « tandis que l’an 2005 mûrissait, le corpus de la finance mondiale devenait chaque jour plus grotesque que la veille. » (p.318) Visionnaires, ils écrivent plus loin « qui sème le vent récolte la tempête. Lorsque la bulle immobilière des États-Unis éclatera… un peu de cet adage retombera sur le pays. » (p.332) Et de rappeler qu’on ne peut pas éternellement ignorer les lois économiques, à savoir que les gens doivent épargner – y compris les Américains. Qu’ainsi des entrepreneurs et des industriels peuvent leur emprunter cette épargne et construire de nouvelles entreprises, de nouvelles usines et créer de nouveaux produits. « Ce nouveau rendement est alors vendu avec un profit, et cela crée de nouveaux emplois – et de plus hauts revenus – ce qui fournit aux gens un plus grand pouvoir d’achat, plus d’épargne, etc. »
Les événements leur ont donné raison. La crise s’est belle et bien produite et à l’heure où nous écrivons, on nous affirme que nous en serons bientôt sortis. Probablement pas car si la crise est une crise de l’endettement comme l’affirment nos deux auteurs et les économistes de l’école autrichienne, on ne la règlera pas en mettant de l’huile sur le feu ou en s’endettant encore davantage.
Cette crise de l’endettement et le fait d’y répondre par encore plus de dette n’est selon Bonner Wiggin pas un hasard. Bien au contraire, ils sont l’illustration de leur thèse principale à savoir que les États-Unis sont devenus un empire et que comme tous les empires qui l’ont précédé, ils commettent les mêmes erreurs qui entraîneront son déclin puis sa disparition.
Sans pour autant adhérer au côté déterministe et holiste de l’analyse, il est intéressant de la décrire car elle s’inscrit parfaitement dans un contexte de politisation effréné de la vie en société. Cette politisation que le développement économique et le progrès technique ont rendu possible car supportable n’empêchera pas pour autant une crise profonde de nos sociétés.
« Un grand empire est à la géopolitique ce qu’une grande bulle est à l’économie: attirant au début, catastrophique à la fin. Nous ne connaissons aucune exception à la règle » (p. 75). Et de citer 53 empires – de l’empire romain au premier empire français en passant bien sûr par l’empire byzantin – qui les uns après les autres ont connu leur apothéose avant de disparaître.
Après avoir décrit les principales caractéristiques d’un empire en en étudiant les nombreux cas historiques (corps politique qui régnant sur des territoires situés à l’extérieur de ses propres frontières, la vie privée devient progressivement secondaire, devoir de rendre le monde meilleur y compris en dictant leur conduite aux autres, etc. ), Bonner et Wiggin déterminent que les États-Unis sont devenus un empire dès le début du 20ème siècle sous Windrow Wilson qui poussa son pays à intervenir dans la première guerre mondiale.
L’histoire américaine du 20ème siècle est ainsi revisitée à la lumière des spécificités d’un empire qui pris de désires de grandeurs ne cessera plus d’intervenir dans de très nombreux conflits au delà de ses frontières : seconde guerre mondiale, guerre du Vietnam, guerre froide, guerre en Irak, guerre en Afghanistan. Ce faisant, l’empire s’endette toujours plus au risque de se voir un jour complètement nu ! Les auteurs consacrent un chapitre particulièrement intéressant à la présidence de Ronald Reagan et aux idées de l’économie de l’offre.
Avant de conclure, il est intéressant de mentionner que selon les auteurs de l’Empire des dettes, l’héritage de Reagan n’est peut-être pas aussi positif qu’il n’y paraît à première vue. En effet, sous l’ère Reagan, les déficits et la dette publique se sont envolés. Si Reagan a fait baisser les impôts, il n’aurait malheureusement pas diminué le pourcentage de ressources économiques soustraites par le gouvernement (p.240) « Un taux d’imposition plus bas donna aux citoyens l’impression d’avoir davantage d’argent à dépenser. Individuellement, c’était le cas. Collectivement, non. » (p. 241) Et ajouter à ce qui peut aujourd’hui nous servir de guide dans l’analyse des politiques publiques en France : « Réduire le taux d’imposition était une bonne idée. Mais réduire uniquement le taux d’imposition nominal, tout en augmentant simultanément les ressources du gouvernement, c’était une imposture. »
Et pour conclure, disons que la lecture de ce livre est aussi bien divertissante qu’intéressante. Elle offre une explication sensée de la crise que nous vivons et la met au cœur d’une dynamique qui offre des perspectives riches[[Les deux auteurs ont publié au mois d’août 2009 une version révisée de leur livre. Elle devrait être disponible en Français début 2010 aux Belles Lettres.]].
Cécile Philippe est directrice générale de l’Institut économique Molinari.