Surtaxer Total retomberait sur les consommateurs
Total est au cœur d’une nouvelle polémique qui en dit long sur l’incompréhension des effets de la fiscalité sur les prix. Avec la conjoncture, la société pétrolière française est accusée de faire des surprofits en s’enrichissant sur le dos des clients, d’où les appels à la mise en place d’une taxe exceptionnelle. Selon certains, ce serait la meilleure façon de financer les mesures visant à préserver le pouvoir d’achat. Décorticage d’un quiproquo complet. Texte d’opinion par Nicolas Marques, directeur général de l’Institut économique Molinari, publié dans La Tribune.
Commençons d’abord par les prétendus « surprofits » légitimant une « surtaxe ». Total dégage 9,8 milliards de dollars de résultat net dans le monde au deuxième trimestre 2022, soit trois fois plus qu’au deuxième trimestre 2021. Ce serait la marque d’un enrichissement excessif, qui devrait être corrigé par une surtaxe. C’est oublier que ces chiffres ne sont pas exceptionnels et que le carburant est une activité fluctuante.
D’autres sociétés du secteur ont de meilleurs résultats. ExxonMobil et Chevron ont respectivement des résultats nets de 17,9 et 11,4 milliards de dollars au deuxième trimestre 2022, chiffres quatre fois plus élevés qu’en 2021. Surtout, s’attarder sur les profits sur une période réduite n’a pas de sens, les résultats étant particulièrement volatils dans ce secteur. Les résultats nets des cinq majors pétrolières représentaient 82 milliards de dollars en 2021, contre 77 milliards de pertes en 2020. Chercher à écrêter les profits apparaissant en haut de cycle serait complexe et problématique, un profit « exceptionnel » pouvant s’inscrire dans une rentabilité classique à long terme.
Le carburant une rente pour les pays d’extraction et de consommation
D’où la recommandation des économistes de veiller à ce que la fiscalité visant les entreprises soit proportionnelle à leurs bénéfices. Dans les périodes fastes, elle génère un rendement accru. Dans les périodes plus difficiles, son rendement se dégonfle. Une fiscalité progressive, à l’image de ce qui existe pour les ménages, générerait des distorsions en pénalisant les acteurs les plus rentables. In fine, cela retomberait sur les consommateurs, qui paient en bout de course l’impôt collecté par les entreprises dont les produits sont recherchés.
D’autres prétendent que Total ne paierait pas d’impôts en raison d’une optimisation fiscale agressive lui permettant de régler l’essentiel de ses taxes hors de France. Ce faux procès ne tient pas compte des spécificités de la fiscalité sur les carburants, avec une double rente pétrolière bénéficiant aux pays producteurs et aux pays de consommation. L’essentiel des marges des sociétés pétrolières se fait dans l’extraction et la production d’hydrocarbures. A ce titre, Total a réglé 16 milliards de dollar d’impôts sur la production et les bénéfices en 2021. Si les finances publiques françaises n’en ont pas profité directement, c’est parce que ces activités se font hors de France, pour des raisons géologiques n’ayant rien à voir un quelconque souhait d’optimisation fiscale.
Dans les pays de consommation, dont la France fait partie, les marges de distribution sont faibles, d’où des impôts sur les bénéfices nuls ou marginaux. Mais c’est parce que ces pays se rémunèrent avec des droits d’accise (21 milliards d’euros) qui, combinés avec la TVA, représentent la moitié du prix de vente à la pompe en France. Ajoutons que les finances publiques françaises bénéficient aussi des activités de Total avec 1,9 milliards d’euros d’impôts de production et de cotisations sociales encaissées en 2021.
Avec des impôts et taxes répercutés sur le consommateur
Au global, 17 % du chiffre d’affaire mondial de Total en 2021 correspondait à des impôts et taxes. En France, c’est bien plus. Les taxes et impôts représentent aujourd’hui entre 56 % à 61 % du prix à la pompe, selon qu’on considère le gazole ou le SP95, fiscalisés respectivement 129% ou 156 % du prix de production hors taxes. Chercher à taxer encore plus les pétroliers ne soulagerait pas le consommateur, bien au contraire. Tant que les carburants seront des produits recherchés, les taxes liées à leur production ou à leur commercialisation continueront d’être reportées sur les clients.
Quoiqu’on pense des activités pétrolières, une remise à la pompe soulage le consommateur, tandis qu’une surtaxe détériorerait sa situation. L’incidence fiscale est incontournable, la fiscalité sur la production de produits recherchés et difficilement substituables est au final payée par les consommateurs…