Taxer la valeur ajoutée au lieu de cibler les entreprises
Quel que soit le canal, les taxes sur les entreprises sont souvent en bout de ligne payées par celui qui consomme un bien ou un service. Plutôt que de créer de nouveaux impôts, il vaudrait mieux privilégier la taxe sur la valeur ajoutée. Texte d’opinion par Cécile Philippe et Nicolas Marques, respectivement présidente et directeur général de l’Institut économique Molinari, publié dans La Tribune.
Quand on parle taxation, on oublie souvent de parler incidence et alignement des intérêts sous prétexte que certaines taxes seraient plus justes, moins douloureuses, plus acceptables. Mais quel que soit le canal, les taxes sont en bout de ligne payées par celui qui consomme un bien ou un service. Ce fait est trop souvent ignoré lorsqu’on évoque la fiscalité, qu’il s’agisse de supprimer des taxes comme les impôts de production ou d’en créer, avec l’impôt minimal sur les multinationales. Pourtant, avoir bien en tête l’incidence fiscale permettrait de prendre de meilleures décisions publiques.
Collecteur d’impôts
Il faut bien réaliser qu’une entreprise est un collecteur d’impôts. Elle ne paie pas d’impôt mais les transfère sur les ménages. Quand elle ne trouve aucun acteur susceptible de les supporter – le consommateur avec des prix plus élevés, l’actionnaire sous forme d’un rendement moindre, ou le salarié par une modération salariale -, elle fait des pertes voire ferme ses portes.
Une bonne compréhension de l’incidence des taxes devrait conduire à supprimer toutes celles entravant la création de richesse, comme les impôts de production. C’est d’ailleurs ce qu’ont réalisé bon nombre de pays européens, en les remplaçant par de la TVA. Les impôts de production, pris en amont du résultat, sont insensibles aux difficultés structurelles ou conjoncturelles. Ils peuvent plonger les entreprises les plus fragiles dans le rouge, causant leur fermeture. Les déboires de Bridgestone Béthune illustrent cette réalité. En 2016, dernière année où ce site industriel faisait des bénéfices, la fiscalité française représentait 58 % des résultats avant impôts. Il n’était pas possible d’embaucher, d’augmenter les salariés et d’investir, la rentabilité pour l’actionnaire étant déplorable. En 2017 et 2018, le site de Béthune devenait déficitaire avec une fiscalité représentant 226 % puis 466 % des résultats avant impôts. Bridgestone payait 14 millions d’impôts, subventions déduites, et faisait 9 millions d’euros de pertes avant de fermer.
Heureusement, toutes les entreprises ne sont pas dans cette situation. Celles ayant un pouvoir de marché arrivent à repousser la taxe sur les clients. L’exemple le plus flagrant a été celui de la taxe GAFA, très vite reportée sur les fournisseurs puis les consommateurs, les acteurs du numérique – principalement américains – étant en position de force.
Moins douloureux pour la création de richesse, l’impôt sur les sociétés n’est pas pour autant la panacée. Il obéit aux mêmes lois économiques, à la différence majeure qu’il ne lamine pas les entreprises à faibles marges. Il n’en demeure pas moins que cet impôt « se répercute des acteurs économiquement forts vers les acteurs économiquement faibles », selon l’adage de Maurice Lauré.
Depuis plusieurs années, on assiste à une multitude d’initiatives nationales ou internationales (OCDE, UE…) ciblant les entreprises et présentant cela comme une marque de « justice ». La dernière en date est la « taxe minimale de 15% sur les multinationales » portée par l’Union européenne. Ces démarches bénéficient d’un capital sympathie chez ceux qui croient que la fiscalité « sur les entreprises » est payée par ces dernières. Mais cela n’a aucun sens dans la vie courante, les salariés ou les consommateurs supportent parfois la totalité de ces impôts.
Aligner la fiscalité sur la création de richesse
Le vrai courage consisterait à rejeter les initiatives visant à créer de nouveaux impôts et à privilégier la taxe sur la valeur ajoutée. C’est, en effet, l’impôt qui crée le moins de distorsions. Cette évolution structurelle n’a cependant aucune chance de se produire, tant que le grand public continuera de croire qu’il paie la TVA et que les entreprises s’acquittent du reste (impôts de production et sur les sociétés). Ce serait pourtant la meilleure piste pour aligner la fiscalité sur la création de richesse. Du point de vue économique, l’acceptation de l’impôt est liée à la valeur ajoutée associée aux biens ou services l’intégrant.