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Virus hivernaux: ces pics épidémiques que nous ne verrons pas venir

TRIBUNE. La spécialiste en politiques publiques Cécile Philippe juge que la France manque d’outils de surveillance et dénonce « le mythe de la fin de la pandémie ». Texte d’opinion publié dans Le Point.

Dans un avis récent, l’Académie nationale de médecine a alerté sur le risque d’infections multiples au cours de l’hiver prochain – grippe, VRS (virus respiratoire syncytial), Sars-Cov-2 – et recommande le retour du port du masque, au moins pour une certaine catégorie de personnes et dans certains lieux. Dans le même temps, les plus grands services de pédiatrie se sont unis pour déplorer dans une lettre une situation intenable face aux épidémies hivernales obligeant des déprogrammations, des transferts, voire du tri. Cela rappelle évidemment de très mauvais souvenirs, à la différence cette fois que les alertes semblent tomber dans des oreilles de sourds alors qu’on parle d’enfants. Faute de s’être dotés d’outils de surveillance adéquats et de bons indicateurs, la population appelée à une responsabilité désincarnée, ne montre pas de velléités d’agir individuellement au nom de la collectivité.

Les indicateurs sont des points saillants et visibles, synthèses de faits orientant les récits qui se diffusent dans la société. Inexistants ou mal conçus, ils passent à côté du sujet et peuvent dans le pire des cas empêcher les bons choix publics. Nous le constatons aujourd’hui sur la Covid.

Pour commencer et comme le répète depuis longtemps l’épidémiologiste Antoine Flahault, à la différence d’autres pays, la France n’a pas les outils d’une veille sanitaire efficace. En effet, c’est encore un des rares pays à faire remonter le nombre de cas quotidiens, mais en raison d’un sous-dépistage important, elle n’a pas d’indicateur fiable de la proportion du nombre de cas en population générale faute d’une cohorte suivie au fil des mois, de sondages au sein de la population, d’une analyse systématique des eaux usées. Ainsi face à un mouvement de grève des biologistes qui ont suspendu la remontée des informations, la France se trouve sans indicateur. Avant de penser à faire des économies immédiates, il aurait été utile – du point de vue épidémiologique – de mettre en place d’autres moyens de suivi pour faire de la prévention et des économies à plus long terme

Cet oubli n’est sans doute pas une simple coïncidence tant le mythe de la fin de la pandémie s’est ancré dans les esprits au détriment de faits têtus. Dès l’émergence du variant Omicron fin 2021, l’Afrique du sud a alerté sur le fait que la bronchiolite pouvait être la symptomatologie principale du nouveau variant. En avons-nous tiré les conséquences ? Absolument pas. Alors que la France – comme de nombreux autres pays – fait face à une envolée du nombre de cas exigeant une prise en charge à l’hôpital, la stratégie de test n’a pas évolué. Les enfants de moins de 6 ans, et les 0– 2 ans de surcroit, sont très peu testés pour le Sars-Cov-2. Aucune donnée n’est disponible concernant le nombre et les résultats de tests pour le VRS, le virus considéré la cause principale de bronchiolite avant la pandémie, chez les enfants admis à l’hôpital. Nous manquons donc de visibilité sur ce qui cause cette épidémie d’ampleur inédite. Faute de tests pour le Sars-Cov-2 et de transparence, on risque de sous-estimer l’ampleur de son impact et l’urgence d’agir maintenant comme le suggère un papier récemment publié dans Nature par plus de 400 experts dans le monde issus de domaines aussi variés que la médecine, l’épidémiologie, la santé publique, l’économie, etc. Cette étude inédite, obtenue grâce à la méthode Delphi de délibération, continue de remporter un fort succès (681 sur 22,4 millions papiers partagés le 20/11).

Depuis trois ans, un nouveau virus a fait son apparition et trop souvent nous faisons comme si les choses étaient redevenues comme avant. Sauf que nos vaccins ne stoppent pas les transmissions de la Covid, laquelle continue de muter et de contourner l’immunité que le vaccin ou les infections ont pu conférer pendant un certain temps continuant à causer décès, hospitalisations et maladies chroniques à plus long terme (Covid long).

La démocratie dépend du jugement collectif des individus. Comme l’écrit le psychologue social Jonathan Haidt « une démocratie dépend de l’acceptation largement internalisée de la légitimité des règles, des normes et des institutions. […] lorsque les citoyens perdent confiance dans les dirigeants élus, les autorités sanitaires, les tribunaux, la police, les universités et l’intégrité des élections, chaque décision devient contestée. » Il n’est dès lors plus possible de gouverner et ériger des règles capables de gérer au mieux les défis collectifs.

Or, cette confiance se construit. Elle exige des mesures, des preuves, des moyens de comprendre les nouveaux défis qui se présentent à nous. C’est pourquoi, il est peut-être temps de reconnaître que pour gagner la confiance des individus et leur consentement à de nouvelles mesures de protection nécessaires pour protéger les plus vulnérables – les nourrissons et les jeunes enfants actuellement – il faut accepter d’investir dans des moyens de veille sanitaire irréprochables. Ils pourront dès lors aider à orienter et faciliter la prise de décision individuelle et collective. C’est en se donnant des moyens d’être responsable qu’en bout de ligne, il devient possible de l’être. La responsabilité n’est pas une abstraction, elle se construit grâce à des indicateurs fiables.

Cécile Philippe

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