La France a besoin d’une réforme des retraites structurelle qui introduise une dose de capitalisation
La réforme des retraites proposée par le gouvernement n’a pas pour but de revenir sur le système de financement par répartition. Pour les économistes, Cécile Philippe et Nicolas Marques, une bonne réforme consisterait justement à instaurer une part de capitalisation collective afin d’épauler la répartition et de financer des secteurs clés de l’économie française. Texte d’opinion par Cécile Philippe et Nicolas Marques, respectivement présidente et directeur général de l’Institut économique Molinari, publié dans La Croix.
Depuis 1945, le système de retraite français est fondé sur la répartition, les actifs financent leurs aînés devenus inactifs. Ses concepteurs avaient identifié le coût élevé d’un tel système et imaginé qu’il serait révisé au fur et à mesure que des méthodes moins coûteuses seraient envisageables. Malheureusement, ils n’avaient pas prévu que la répartition deviendrait un totem intouchable en dépit des risques systémiques qu’elle fait peser sur la société française.
En 2023, les autorités proposent encore de sauver la répartition alors que l’enjeu est ailleurs. Il faut l’épauler, pour que les retraités futurs continuent de bénéficier d’un pouvoir d’achat décent, sans qu’en même temps la société pâtisse d’un manque de compétitivité et de pouvoir d’achat.
Une baisse continue du nombre de cotisants
La réforme actuelle répond au seul enjeu de l’allongement de la durée de vie. Cela va dans la bonne direction mais se révèle totalement insuffisant quand on considère l’ampleur du coût et des risques inhérents à la baisse de la natalité. Le système par répartition, imaginé dès 1941 et confirmé en 1945 à la Libération, était pensé comme une solution coûteuse mais nécessaire, du fait de l’inflation d’après guerre. Dès le départ, les pouvoirs publics savaient que l’avenir ne serait pas simple. La loi du 14 mars 1941, qui introduit la répartition, précise que « lorsque le nombre des retraités croît avec l’élévation de l’âge moyen de la population, le service massif des pensions impose un fardeau insupportable aux éléments productifs ».
Or, c’est très exactement ce qui s’est passé. Dès les années 1950, la France a été un des premiers pays européens à connaître une baisse significative de la fécondité, phénomène brièvement interrompu par le baby-boom. Il y avait quatre cotisants pour financer un retraité bénéficiant d’une petite pension en 1956, à une époque où la retraite mobilisait seulement 5 % du PIB. Aujourd’hui, la situation est radicalement différente. Il y a quasiment trois fois moins de cotisants pour financer un retraité avec une pension significative, pour une durée accessoirement plus longue, dans un pays où les retraites versées par la répartition ou le budget absorbent environ 14 % du PIB.
La capitalisation pour améliorer le sort des retraités
La répartition engendre déjà un grand nombre de problèmes en termes de compétitivité et de pouvoir d’achat. En effet, le poids inédit des cotisations retraite (28 % du brut pour les salariés) explique en partie pourquoi, en dépit des réformes, la France reste en retrait de 7 % pour les salaires nets de prélèvements et de 35 % pour la rentabilité des entreprises.
Par ailleurs, contrairement à ce qui est souvent affirmé, les retraités sont loin d’être des « nantis ». Le taux de rendement interne (TRI) du système de retraite s’est beaucoup détérioré. Cet indicateur – mettant en perspective les prestations reçues tout au long de la retraite au regard des cotisations versées durant la vie active – est passé de 9 % pour la génération née en 1920 à 2,5 % pour celle de 1950. Selon les projections du COR, pour la génération 1960, le TRI sera au mieux de 2 % pour un non-cadre et de 1,5 % pour un cadre, et va encore baisser avec la réforme de 2023. Nous sommes bien en deçà des rendements offerts par les marchés, ce qui milite pour l’ajout d’un étage en capitalisation collective afin d’épauler la répartition.
En effet, la capitalisation collective est un outil performant pour financer de manière économique les retraites. Il y a plus de 110 ans, Jean Jaurès défendait sa généralisation dans les colonnes du journal L’Humanité. Aujourd’hui, on peut constater sa performance dans le secteur public – avec le régime de retraite additionnelle de la fonction publique (RAFP), le Sénat, la Banque de France – ou dans le privé, en particulier à la Caisse d’assurance vieillesse des pharmaciens (CAVP). Toutes ces institutions créent de la richesse, en plaçant des capitaux sur les marchés, ce qui aide à financer les retraites et compense la baisse de la natalité.
Une aide au financement de l’économie
Dans le privé, il faudrait créer le pilier qui nous manque, en nous inspirant des fonctionnaires ou des pharmaciens. En bonne logique, la capitalisation collective des salariés devrait être gérée par l’Agirc-Arrco. Elle a prouvé, par sa bonne gestion paritaire, sa capacité à relever le défi des retraites sans générer de déficit.
Dans le public, l’État a besoin de 57 milliards d’euros par an pour financer les retraites des fonctionnaires, dont 33 milliards s’apparentent à des subventions d’équilibre compensant un déficit. Il faudrait appliquer les règles prudentielles de droit privé et les promesses de retraites faites aux nouveaux fonctionnaires devraient être provisionnées. Le coût final pour le contribuable serait ainsi réduit. L’État pourrait s’y mettre dès à présent. Avec le Fonds de réserve pour les retraites (FRR), il dispose déjà de la structure juridique et des expertises nécessaires.
La France a besoin d’une réforme structurelle qui introduise une dose de capitalisation collective dans le privé et un provisionnement dans le public. Ce serait la clé pour économiser les prélèvements obligatoires, améliorer le rapport qualité-prix des prestations publiques, tout en allouant plus de capitaux au financement de l’économie et des grands enjeux. La réforme des retraites 2023 ne sera en aucun cas la dernière.