Retraites: «Refuser de généraliser la capitalisation, c’est entériner le chacun pour soi et les inégalités»
ENTRETIEN. Absente des débats sur la réforme, la retraite par capitalisation est pourtant déjà monnaie courante pour les fonctionnaires, les sénateurs ou encore les pharmaciens. La France opère donc déjà la retraite par capitalisation mais de manière « désorganisée », selon Nicolas Marques, directeur général de l’institut Molinari, un think tank d’orientation libérale. Selon cet économiste, le système de retraite par répartition est à bout de souffle et risque d’accroître les inégalités entre les actifs. Entretien publié le 17 février 2023 dans La Tribune.
NICOLAS MARQUES, DG de l’institut Molinari – Dans le logiciel du gouvernement, la loi Pacte de 2019 (avec les nouveaux Plans d’épargne retraite ou PER NDLR) a déjà fait le nécessaire pour ceux qui veulent épargner plus pour protéger leur retraite. Toujours selon celui-ci, le collectif obligatoire doit reposer exclusivement sur la répartition, la capitalisation relevant uniquement de démarches facultatives. Elle s’appuie sur le Plan d’épargne retraite individuel (le PER individuel héritier du PERP) et des plans d’entreprises (les PER collectifs et obligatoires, héritiers des PERCO et Articles 83). La réforme actuelle vise uniquement à réduire les déficits associés à la répartition et aux retraites des fonctionnaires. Mais se cantonner à une capitalisation facultative est dangereux. Cela fera beaucoup de laissés pour compte, en laissant de côté ceux qui n’ont pas compris qu’il faut épargner pour la retraite ou ne sont pas en position de le faire de façon isolée. Avec 1,8 enfant par femme, on ne peut plus financer de belles retraites exclusivement en répartition. Dans un pays comme la France, il faudrait un tiers de capitalisation et deux tiers de répartition. Comme nous en sommes très loin, le financement des retraites est plus coûteux et les pensions vont baisser significativement. Ce n’est pas une surprise. Lorsqu’en 1945 le gouvernement a généralisé la répartition, c’était en précisant qu’il « n’est pas douteux que le régime de la répartition est plus onéreux que celui de la capitalisation ».
Il y a pourtant une forme de flexibilité sur cette réforme qui se révèle très paramétrique. Dernière concession annoncée par le gouvernement : les salariés qui ont commencé à travailler à l’âge de 17 ans dans le dispositif carrières longues pourront partir à la retraite à 60 ans. Ces ajustements concédés ne sont-ils pas en faveur du modèle de répartition, où chaque catégorie peut défendre des droits ?
J’ai plutôt l’impression que la répartition, particulièrement lorsqu’elle est organisée en fonction du nombre de trimestres cotisés et de seuils d’âges, crée des problèmes et divise. En répartition, les droits des uns sont financés par les cotisations des autres. Beaucoup de cotisants aspirent à récupérer leurs « droits » au moment de la retraite, comme si leurs cotisations avaient été placées pour financer leur retraite future. Mais les cotisations n’ont pas été placées pour être restituées aux personnes qui les ont versées. Elles ont servi à financer les retraites des ainés. Ainsi, l’aspiration au départ précoce à la retraite devient un problème financier immédiat puisqu’elle remet en cause les équilibres financiers et le pacte social à l’oeuvre. Dès lors, la répartition en tant que telle n’est pas la meilleure façon de défendre les « droits ». Dans un contexte de faible natalité, les souhaits des uns et des autres deviennent incompatibles, les « droits » des uns étant financés par les autres.
D’où ces éternels débats liés aux règles de validation des trimestres ou aux âges légaux et cette quête continue d’aménagements pour rendre les règles plus « justes ». Lorsque la natalité – le carburant de la répartition – baisse, la situation devient mécaniquement de plus en plus tendue. Nous aurions beaucoup moins de conflits si tous les régimes par répartition fonctionnaient en points – comme l’Agirc-Arrco, la grande caisse complémentaire du privé – et surtout si nous avions une dose significative de capitalisation collective.
La retraite par capitalisation est déjà possible notamment pour les fonctionnaires en France. Pourquoi ne pas la généraliser ?
C’est une avancée sociale qui reste à faire. Quarante ans après la fin du baby-boom, on recherche toujours la formule magique pour que tout le monde bénéficie de retraites attrayantes financées exclusivement en répartition. Or, c’est impossible compte-tenu du caractère déclinant de la démographie. Le débat collectif n’est pas à la hauteur des enjeux, avec des postures déconnectées du réel. On a, par exemple, encore une part significative des Français qui remet en cause la réalité des déséquilibres financiers. Même le Conseil d’Orientation des Retraites, instance financée par le gouvernement, n’ose pas mesurer le déficit des retraites correctement. Il se contente de chiffrer les déficits des retraites par répartition, qui sont relativement faibles. Il refuse de chiffrer le déficit lié aux retraites des fonctionnaires d’Etat qui sont majeurs. L’essentiel du déficit des retraites est dans les comptes de l’Etat, lequel distribue des retraites aux fonctionnaires en dehors de la répartition. L’Etat a promis 2 770 milliards d’euros de retraite aux fonctionnaires mais n’a rien mis de côté. Bilan : cela réduit ses moyens d’actions – certains ministères comme l’éducation nationale devant consacrer 30% de leurs dépenses aux retraites – et rend le déficit public structurel.
En parallèle, on a présenté la capitalisation comme inégalitaire car supposément exclusivement individuelle, alors que c’est l’absence de généralisation qui crée des inégalités. Le débat reste sur des postulats caricaturaux alors que toutes les projections montrent que les retraités vont s’appauvrir si l’on ne réagit pas.
À la vue des niveaux d’épargne sur divers produits, la retraite par capitalisation n’est-elle déjà pas opérée par bon nombre de Français ?
La capitalisation retraite n’a jamais disparu en France. En plus de l’épargne individuelle (telle l’assurance vie ou l’immobilier locatif), les professions ont aussi réinvesti le champ de la retraite capitalisée qu’elles occupaient depuis le XIXème siècle. En 1964, quatre syndicats ont décidé de créer la Caisse nationale de prévoyance de la fonction publique (Préfon), ouverte aux fonctionnaires souhaitant constituer un complément retraite par capitalisation. En 1994, les professions libérales obtiennent la création des contrats Madelin. En 2003, la loi Fillon crée les Plans d’épargne retraite populaires (PERP), ouverts à tous mais aussi les PERCO. La loi PACTE de 2019 a harmonisé les produits existants pour leur procurer une nouvelle jeunesse. En 2020, 6 millions de Français ont alimenté ces dispositifs. Si on y ajoute les 4,5 millions de fonctionnaires affiliés d’office à l’ERAFP, cela représente une dizaine de d’épargnants retraite pour une population active de 30 millions. C’est loin d’être négligeable. Pour autant, les capitaux placés restent faibles. La capitalisation représente 5% des cotisations retraites et les capitalisations collectives sont sous développées.
Quels sont les exemples de cette capitalisation collective à la française ?
Les rares institutions collectives françaises ayant systématisé la capitalisation collective ont des performances excellentes. C’est le cas de la Banque de France ou du Sénat qui n’ont jamais démantelé leurs capitalisations collectives. C’est aussi le cas des pharmaciens de la CAVP qui ont, dès les années 1960, compris que le tout répartition ne permettrait pas de distribuer des retraites généreuses. Leur retraite complémentaire fonctionne de façon mixte. Une partie est placée pour bénéficier du rendement des marchés financiers (40 % des cotisations qui, grâce aux intérêts, financent 50 % des prestations). Cette capitalisation épaule la répartition. La retraite par capitalisation a aussi été généralisée avec succès dans la fonction publique. Depuis 2005, les partenaires sociaux cogèrent l’Etablissement de retraite additionnelle de la fonction publique (ERAFP) un fonds de pension collectif qui représente déjà 42 milliards d’euros et dont la performance moyenne est de l’ordre de 5,6% par an depuis sa création.
N’est-ce pas injuste que de compter sur la capacité d’épargne des Français, sachant que celle-ci est plus qu’aléatoire pour les classes inférieures à faibles revenus ?
Effectivement, la vraie question est de savoir si tout le monde bénéficiera de la capitalisation collective pour compenser la détérioration des retraites par répartition, ou si elle restera l’apanage de certains. A ce stade, nous sommes dans une situation de capitalisation « désorganisée » avec le risque que seuls les plus informés, les salariés des grandes entreprises ou les fonctionnaires aient accès aux produits financiers efficaces. A rebours du discours officiel, refuser de généraliser la capitalisation, c’est entériner le chacun pour soi et les inégalités.
Mais qui dit retraites par capitalisation dit aussi arrivée des fonds de pension, à l’américaine, pour financer via ces caisses de retraite privées – un projet du candidat Macron en 2015 d’ailleurs. Mais même ces établissements se financiarisent à outrance faisant prendre des risques à leurs cotisants. Comment éviter ces excès ?
Le vrai risque est de croire que l’on peut rester uniquement en répartition en prétendant que ce n’est pas risqué. Les centaines de milliers de fonctionnaires français qui avaient eu le malheur de cotiser à CREF l’ont compris à leurs dépens. Cette retraite complémentaire fonctionnait aux deux tiers en répartition, ce qui l’a conduit à baisser de 25% ses pensions au début des années 2000. A l’opposé des scandales étrangers fameux mais peu fréquents (Enron, Maxwell…), la gestion des capitalisations collectives française est performante et consensuelle. La retraite par capitalisation collective de la Banque de France, du Sénat, des pharmaciens, des fonctionnaires… tout cela fonctionne bien avec un soutien très large des bénéficiaires et de leurs représentants. L’ERAFP est notamment gérée avec les partenaires sociaux (CFDT, CGT, Unsa, etc.) avec des règles d’investissement rigoureuses, des critères ESG, des appels d’offres transparents… En 1909, Jean Jaurès disait « ceux qui se font un monstre de la capitalisation commettent une erreur étrange ». Son propos reste toujours actuel en France.