Les effets pervers de la fiscalité indirecte
Les effets sur les comportements de la fiscalité sont souvent sous-estimés. Taxer des biens dont on veut diminuer la consommation se justifie, mais il faut aussi proposer des substituts efficaces et acceptables. Chronique par Cécile Philippe, présidente de l’Institut économique Molinari, publiée dans Les Échos.
La fiscalité – punitive ou incitative – est un outil privilégié en matière de politiques publiques lorsqu’il s’agit notamment de modifier les comportements dans un sens ou dans un autre. Elle est particulièrement employée pour lutter contre les comportements dits à vices nuisibles pour la personne consommatrice ou contre les comportements aux externalités négatives, comme dans le cas des émissions de gaz à effet de serre. Dans un cas comme dans l’autre, les chances de succès de ladite politique dépendent étroitement de l’existence ou pas de bons substituts.
La politique fiscale lorsqu’elle est incitative, vise à baisser les prix relatifs d’un produit par rapport à d’autres pour que le produit moins cher soit préféré. A l’inverse, le produit surfiscalisé dans le cadre d’une stratégie punitive voit son prix accru afin qu’il soit délaissé. Mais si le besoin n’a pas disparu, cet espoir ne se concrétisera pas ou le consommateur se reportera sur des substituts potentiellement problématiques.
Le cas récent de la crise énergétique est éloquent à cet égard. L’explosion des prix de l’énergie a certes diminué la demande mais pas au point – en l’absence d’alternatives meilleures – d’éviter dans des pays comme la France de rouvrir une usine à charbon parmi les plus polluantes. Dans le cas de l’essence dont certains ne peuvent pas se passer pour aller au travail, faute de transports en commun ou alternatifs, la surfiscalité conduit en France à les pénaliser en moyenne 5 fois plus que les biens classiques à 20% de TVA. La fiscalité indirecte peut alimenter – contrairement aux croyances habituelles selon lesquelles ces fiscalités seraient anodines – des révoltes comme celle des gilets jaunes. Comme l’expliquent les sociologues Isaac William Martin et Nadav Gabay dans une étude publiée au British Journal of Sociology, la fiscalité indirecte est la moins bien consentie et ce sont les payeurs d’accise qui au 21ème siècle crient le plus fort.
Si cette raison est surreprésentée selon les auteurs dans 475 épisodes de révolte étudiées au sein de 20 démocraties riches entre 1980 et 2010, elle illustre les effets pervers qui apparaissent lorsqu’on pousse le consommateur dans ses retranchements. Dans le cas des produits dits à vice, qu’il s’agisse des produits du tabac, de l’alcool, du sucre ou du sel, toute politique publique doit garder en vue l’existence ou pas de bons substituts. Car la surfiscalisation de ces produits est susceptible de générer des substitutions tout aussi nocives. Les cigarettes, 26 fois plus taxées que les biens traditionnels, en sont un exemple avec le report sur d’autres produits (tabac à rouler…) ou sur des marchés parallèles (achats transfrontaliers et/ou d’achats « au noir »). Des produits aussi basiques que le sel ou le savon deviennent rapidement l’objet de contrebande, quand ils sont fortement taxés et qu’ils n’ont pas de bons substituts.
Par conséquent, des politiques publiques ambitieuses devraient davantage se consacrer à la question du substitut. C’est vrai dans toute une série de domaines au-delà des produits dits à vice ou externalités négatives. En matière de retraite, il n’y a, par exemple, pas de consensus pour reculer l’âge de départ. Réfléchir au substitut qu’est la capitalisation, permettant de créer de la richesse au-delà des cotisations et de la durée travaillée, aurait permis d’avoir une réforme plus positive.