Retraites, une réforme qui passe à côté des enjeux
Réforme des retraites : pourquoi la démographie est cruciale et comment la capitalisation peut aider à résoudre le problème. Texte d’opinion par Cécile Philippe et Nicolas Marques, respectivement présidente et directeur général de l’Institut économique Molinari, publié dans Contrepoints.
Rarement une réforme aura suscité autant de mécontentement sans traiter les problèmes de fond. Elle va permettre d’améliorer à la marge les comptes publics avec le recul de l’âge de la retraite mais elle passe à côté du vrai défi, la démographie. La baisse de la natalité rend insoutenable le financement des retraites par la seule répartition. Si l’on ne généralise pas une dose de capitalisation, les retraites resteront une source de dérapages financiers et un problème pour le pouvoir d’achat.
Les circonstances ne sont plus les mêmes
À l’origine de la répartition, en 1941 et 1945, il y avait un choix contraint par les circonstances du moment, à savoir l’érosion de l’épargne retraite par l’inflation consécutive aux deux guerres mondiales Pour autant les autorités savaient que la répartition a un coût élevé. Son efficacité dépend de la fécondité qui baisse structurellement. Aussi le gouvernement de la Libération a hésité à mettre en place un système mixte combinant répartition et capitalisation. Les spécialistes ne pensaient pas que le temps verrait le tout répartition gravé dans le marbre. Il était évident que le financement des retraites s’adapterait progressivement aux réalités démographiques. Malheureusement, les générations suivantes ont fait de la répartition un totem indéboulonnable, tout en diminuant l’âge de départ à la retraite ce qui a rendu l’édifice encore plus instable.
La loi du 14 mars 1941 qui a introduit la répartition précisait que lorsque le nombre des retraités croît avec l’élévation de l’âge moyen de la population, le service massif des pensions impose un fardeau insupportable aux éléments productifs. C’est la raison pour laquelle, sous Vichy comme à la Libération, l’âge de départ à la retraite a été fixé à 65 ans alors que certains rêvaient d’un départ plus précoce à 60 ans.
L’ordonnance du 19 octobre 1945 ajoute : « L’insuffisance de la natalité entraîne un vieillissement lent et progressif de la population. Or, les retraites sont supportées par les travailleurs en activité ; la fixation d’un âge trop bas de l’ouverture du droit à la retraite ferait peser sur la population active une charge insupportable. »
Il y a bien longtemps qu’il aurai fallu épauler la répartition d’une dose de capitalisation collective pour diminuer le coût exorbitant du financement du système actuel, comme nous avons eu l’occasion de le défendre dans une étude publiée en 2019 en partenariat avec Contrepoints. Mais il n’est pas trop tard pour bien faire. La baisse de la fécondité doit être prise en compte. Il s’agit d’un défi qui concerne toute la société française, secteur privé comme public, jeunes comme vieux.
Pour réduire ce risque systémique, il va falloir faire preuve d’une intelligence collective. Ce sera d’autant plus important que nos sociétés regorgent de risques collectifs mal appréhendés (pandémie, santé, énergie, éducation…)
Des problèmes différents dans le privé et le public
Il faut donc les approcher avec des méthodes différentes. Dans le privé la meilleure solution est de s’appuyer sur les partenaires sociaux qui ont démontré qu’ils étaient capables de gérer des régimes complémentaires sans multiplier les dérapages financiers ; dans le public, l’enjeu est de contraindre l’État à se comporter en employeur responsable.
Dans le secteur privé, comme l’indiquent les chiffres du Conseil d’orientation des retraites, les comptes sont quasi équilibrés voire excédentaires. C’est grâce notamment à des institutions vertueuses comme l’Agirc-Arrco qui gère de manière paritaire depuis 1947 les retraites des salariés sans avoir recours à l’endettement. Cependant, le taux de rendement de la répartition s’érode avec la fécondité et les cotisations retraite ont atteint des niveaux parmi les plus élevés au sein de l’Union européenne (28 % du salaire brut vs 22 % dans l’UE). Par conséquent, il est urgent d’introduire une capitalisation collective, sur le modèle du fonds de pension des fonctionnaires (ERAFP) ou de la caisse de retraite des pharmaciens (CAVP). Elle épaulera la répartition et donnera accès à tous les salariés de France aux rendements des marchés financiers, ce qui permettra de généraliser le partage des profits par le haut. Il faudrait aussi profondément réformer la Caisse nationale d’assurance vieillesse (CNAV). Contrôlée par un État qui ne comprend pas le temps long, elle ne dispose pas de réserves permettant d’amortir les chocs, à l’opposé des régimes par répartition bien gérés en France (Agirc-Arrco…) ou à l’étranger (Suède, États-Unis…)
Dans le secteur public, s’agissant des fonctionnaires, l’État ne dispose pas de caisse de retraite puisqu’il a fermé celles des ministères en 1853 et n’a rien fait depuis. Il se contente d’assurer le paiement des retraites des fonctionnaires selon l’adage « l’État est son propre assureur ».
Dans les faits, le budget, donc le contribuable, est garant d’un régime informel de retraite à prestations définies, sans aucun mécanisme permettant d’éviter l’envolée des coûts. Pas de points, de réserves ou provisions, de gestion paritaire permettant de responsabiliser les parties… L’État a promis 2630 milliards aux fonctionnaires et a besoin chaque année de 60 milliards d’euros pour payer les pensions, dont les deux tiers s’apparentent à une subvention d’équilibre. L’État « finance » les pensions avec des « cotisations » de 85 % du traitement indiciaire (et même 135 % pour les militaires), contre 28 % dans le privé, en raison d’une pyramide des âges particulièrement déséquilibrée (0,9 actif/retraité).
Cette situation, qui appauvrit les contribuables comme l’État, doit évoluer. La meilleure piste est de provisionner progressivement des retraites des personnels publics au sein du Fonds de réserve des retraites (FRR) en commençant par les nouveaux fonctionnaires. Cette méthode est employée depuis plus d’un siècle par la Banque de France ou le Sénat. Elle permet de créer de la valeur sur les marchés et de limiter le recours aux prélèvements obligatoires pour financer les retraites.
Ces changements structurels ne sont pas à l’ordre du jour de la réforme actuelle. Il faudrait qu’ils le soient lors de la prochaine. Souhaitons-nous que la réforme ne dissuade pas les volontés réformatrices. Le vrai défi des retraites reste à relever.