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« En avoir pour mes impôts » ou la tartufferie d’un État dont les finances sont tout sauf transparentes

A l’occasion de l’ouverture du service de déclaration en ligne des revenus 2022, le gouvernement a lancé une opération baptisée « En avoir pour mes impôts ». L’exécutif mène, via cette plateforme, une consultation auprès des contribuables pour que « chaque Français puisse dire » comment il souhaite que l’argent issu des impôts soit dépensé par l’Etat. Interview avec Nicolas Marques, directeur général de l’Institut économique Molinari, publiée dans Atlantico.

Atlantico. Le gouvernement lance sa campagne, « En avoir pour mes impôts », présentée comme une grande opération de transparence sur les impôts. Savoir comme l’explique Gabriel Attal qu’une “une année dans une école primaire coûte 8000€ à l’état, 11 000€ pour une année au lycée, qu’un accouchement en coûte 2600 € ou que l’entretien d’un km de voirie coûte 110 000 €. Est-ce vraiment le type de “transparence” utile pour le contribuable ?

Nicolas Marques. La démarche du gouvernement est alléchante mais elle ne tient pas ses promesses. C’est une question légitime de savoir si « nous en avons pour nos impôts ». En France, nous étions en 2021 numéro 2 de l’OCDE en prélèvements obligatoires, avec des recettes fiscales représentant 45% du PIB (les champions étant les danois à 47%).

Pour autant, le gouvernement s’est contenté d’afficher les prix sans les mettre en perspective avec le service rendu. Se focaliser sur le coût d’une prestation, sans prendre en compte son rapport qualité/prix, c’est passer à côté des enjeux.

En tant que contribuable, le prix de l’année de lycée (11 000 euros) ou d’université (12 000 euros) m’importe peu, surtout s’il n’est pas mis en perspective avec ce qui se pratique chez nos voisins. C’est la rentabilité de cet investissement collectif qui m’intéresse. La question clef est de savoir si cette dépense aide nos jeunes à bien s’intégrer sur le marché du travail. Trouvent-ils des emplois de qualité, ont-ils des carrières plus attrayantes et épanouissantes ? Et c’est là que le bât blesse. En France, nous dépensons beaucoup et le rapport qualité prix des prestations publiques est souvent médiocre. Dans un travail pour l’Institut économique Molinari, Pierre Bentata a montré en 2019 qu’à qualité égale, le système français pourrait réaliser 43 milliards d’économies sur les 155 milliards investis dans l’éducation s’il se rapprochait du rapport qualité/prix des pays les plus efficaces en termes d’adéquation avec le marché de l’emploi.

De même, savoir que la pension moyenne est de 1 509 euros bruts m’importe peu. Ce qui m’intéresse, c’est de connaitre le retour sur investissement des cotisations retraites et comment nous nous situons par rapport à nos voisins. Or, là encore, nous sommes mal positionnés et cette information clef est occultée par la communication gouvernementale. Le rapport qualité/prix des retraites des salariés – financées en répartition – ne cesse de se dégrader avec la baisse de la natalité. Les cotisations retraite sont significatives (28% du salaire brut ou 11 000 euros par an pour un salarié moyen) et les taux de remplacement baissent. Ce n’est pas une fatalité. Les pays ayant recours à la capitalisation collective s’en sortent mieux. Les travaux de l’OCDE montrent que les Néerlandais cotisent moins – à hauteur de 25% du salaire brut soit 3 points de moins qu’en France – et auront de plus belles retraites, avec des pensions représentant en moyenne 89 % du salaire net, soit 15 points de plus que dans l’Hexagone à 74 %.

Atlantico. Dans quelle mesure l’Etat manque-t-il, trop souvent, de sincérité budgétaire (sur les hypothèses économiques et sur l’appréciation des dépenses notamment) ?

Nicolas Marques. L’Etat a beaucoup de progrès à faire en termes de sincérité. Il est connu pour employer des hypothèses particulièrement favorables dans sa planification budgétaire. Le programme de stabilité de l’exécutif, la nouvelle trajectoire élaborée pour Bercy pour la période allant jusqu’à 2027, offre une illustration récente de ce travers. Le Haut Conseil des finances publiques souligne que les prévisions macroéconomiques du gouvernement sont trop optimistes sur plusieurs points (reflux rapide de l’inflation, hypothèses de productivité, d’emploi et de croissance favorables…). Cette institution présidée par Pierre Moscovici note que le scénario gouvernemental est « nettement plus favorable que celui de la Commission européenne », alors que ce dernier servira de référence lorsque la réforme de la gouvernance européenne des finances publiques sera adoptée.

Plus grave, la comptabilité publique française prend mal en compte le temps long. Les lois de programmation portent sur des horizons courts (3 ou 4 ans), ne sont pas contraignantes et sont rarement respectées. Les engagements à long terme sont mal pris en compte et insuffisamment provisionnés. Cette mauvaise prise en compte du long terme, avec la multiplication des dépenses contraintes ayant une grande inertie – telles les pensions, la charge de la dette ou des retraites – explique le caractère systématique des déficits.

Atlantico. Quand on voit les avis du haut-conseil des finances publiques ou la quantité du hors bilan de l’État, vouloir jouer la transparence, au regard de l’opacité de l’Etat en matière de finances publiques n’est-il pas hypocrite ?

Nicolas Marques. La transparence n’est pas au rendez-vous en France. Toute une série d’engagements structurants sont « hors bilan ». L’Etat s’est, par exemple, engagé à servir des retraites à ses anciens personnels, ce qui représente une dette implicite de 1 600 milliards d’euros, en dehors de tout cadre prudentiel. L’Etat a démantelé les caisses de retraites des ministères en 1853 et n’en a jamais remis en place depuis. Il n’a pas de mécanisme permettant d’adapter ou renégocier les promesses qu’il fait en tant qu’employeur. Contrairement à l’Agirc-Arrco, le grand régime complémentaire du privé, il n’a pas de structure de cogestion avec les partenaires sociaux et aucun mécanisme permettant d’éviter les dérapages financiers (points retraites, réserves…). Facteur aggravant, il n’a rien mis de côté pour honorer ses promesses qui génèrent pourtant des surcoûts indicatifs, pour les contribuables et les générations futures.

Atlantico. Les difficultés des parlementaires, voire de la cour des comptes, pour obtenir des données de Bercy ou des branches de la Sécu, ne témoignent-elles pas d’un manque de transparence criant ?

Nicolas Marques. Sauvy, le créateur de l’Institut national d’études démographiques (INED) soulignait en 1949 qu’« Une administration a toujours quelque hésitation à livrer des renseignements sur sa gestion. Pour vivre heureux, vivons cachés est une ligne de conduite de bonne renommée » (Le pouvoir et l’opinion). Un siècle plus tard, c’est toujours une triste réalité.

Des informations clefs restent cachées et les enjeux ne sont pas bien exposés et traités. Nous l’avons encore vu récemment avec la réforme des retraites. Un nombre significatif de personnes clame que les retraites ne sont pas une source de dérapages, en s’appuyant sur des « chiffrages » du Conseil d’orientation des retraites manquant cruellement de sincérité. C’était le cas d’opposants à la réforme de 2023 … mais aussi d’Emmanuel Macron en 2017, lorsqu’il prétendait que les problèmes financiers étaient « derrière nous ». Depuis 20 ans, le COR fait comme si la source principale de dérapages financiers – les retraites des personnels de l’Etat – n’existait pas. Au motif que les retraites des fonctionnaires sont en dehors de la répartition et financées par le budget, il considère qu’elles sont à l’équilibre. Ce raisonnement est ubuesque. L’Etat n’équilibre jamais son budget et la mauvaise gestion des retraites des fonctionnaires est une des raisons pour lesquelles les dérapages financiers sont systématiques depuis un demi-siècle. En 2022, le déficit de l’Etat représentait 35% de ses dépenses et l’Etat a versé 40 milliards de subventions pour équilibrer comptablement les retraites de ses anciens personnels. La sincérité serait d’intégrer le déficit des retraites du public dans les projections du COR. Il faut sortir de l’impasse actuelle avec l’essentiel du déficit des retraites caché dans les comptes de l’Etat et n’apparaissant pas dans le déficit des retraites tel que calculé par le COR.

En cachant ces réalités, l’Etat ne rend service à personne. L’enjeu n’est pas de faire des campagnes de communication sur l’utilité des prélèvements obligatoires, mais de faire le nécessaire pour que les sujets de fond puissent être correctement traités. L’Etat doit publier des comptes et des projections sincères, c’est clef pour un débat fécond.

Nicolas Marques

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