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Finances publiques: le grand déni français

Interview avec Nicolas Marques, directeur général de l’Institut économique Molinari, publiée dans Atlantico.

Interrogé sur le poids de la dette publique en France et la situation française comparativement au reste de l’Europe, Emmanuel Macron a cherché à relativiser la situation. A l’entendre, notre endettement serait au-dessus de la moyenne de nos voisins, « mais pas beaucoup plus ». Quelle est véritablement la situation française ? A quel point le président la minimise-t-il ?

Les données montrent que la dette publique est plus élevée en France et augmente plus vite que dans la moyenne des pays de l’Union européenne. Fin 2022, la dette publique représente 112% du PIB contre 84% en moyenne dans l’Union européenne. La France surpasse la moyenne européenne de 28 points de PIB, ce qui est significatif. Surtout, la dette progresse bien plus vite que chez nos voisins. En 2017, l’écart était de 16 points, il s’est creusé de douze points dans les cinq dernières années.

Depuis 2017, la dette publique augmente 6 fois plus vite en France que dans l’UE (+2,7 points de PIB/an en France vs +0,4 points/an dans l’UE). Cette contre-performance  est très inquiétante. Sur la longue période, depuis 2000, la dette progressait en moyenne 3 fois plus vite en France que dans l’UE (+2,4 points/an en France vs +0,8 points/an dans l’UE).

C’est la conséquence d’une faiblesse structurelle française. La France n’arrive plus à réduire sa dette publique en période d’embellie économique. Entre 2013 et 2019, période de reprise significative, la dette publique a diminué de 9 points dans l’Union européenne. Dans le même temps, elle a augmenté de 4 points chez nous. Dans l’Hexagone, la dernière séquence significative de baisse de la dette publique remonte aux années 2005-2007. La France, qui était moins endetté que la moyenne de l’Union européenne jusqu’en 2004, a pris l’habitude de vivre à crédit.

Emmanuel Macron a reconnu la réalité d’un « haut niveau de dépenses publiques que nous devons continuer à faire baisser ». Dans quelle mesure le diagnostic d’Emmanuel Macron, sur la dépense publique et la manière de la réduire, est-il insuffisant voire erroné ?

Dire qu’en France les dépenses publiques baissent n’est pas factuel. Leur rythme d’augmentation décélère, mais les dépenses ne baissent pas. Quand Emmanuel Macron est devenu président pour la première fois en 2017, les dépenses publiques représentaient 56,5% du PIB. Elles étaient à 58,1% du PIB l’an passé. C’est seulement lorsqu’on compare les données actuelles à celles de 2020 que l’on a l’impression que les dépenses publiques diminuent. Mais cette année de pandémie, marquée par une contraction historique du PIB ayant propulsé les dépenses publiques à 61,3% du PIB, n’est pas représentative. Les dépenses publiques augmentent bel et bien sur ,les cinq dernières années.

En revanche, on constate que les dépenses publiques augmentent moins vite sous la présidence d’Emmanuel Macron. Entre 2017 et 2022, les dépenses publiques ont progressé de 1,6 point de PIB dans l’Hexagone. C’est moins que dans la moyenne de l’UE (+3 points) ou qu’en Allemagne (+5,5 points de PIB). C’est assez logique, nos voisins ayant des comptes mieux gérés, ont plus de marges de manœuvre pour développer des politiques contracycliques en période de crise (pandémie et guerre). L’excès de dépenses publique français par rapport à l’Union européenne s’est ainsi réduit. Il était de 8,4 points de PIB en 2022 contre 9,8 points en 2017 selon Eurostat.

Propose-t-il des solutions qui sont en mesure de véritablement changer la donne en matière de dépense publique et de dette de l’Etat ? Une inversion de tendance à l’avenir est-elle crédible ?

Emmanuel Macron a compris une chose clef, la nécessité de réduire la fiscalité française entravant la création de richesse. Son choix de baisser les impôts de production, qui chassent la création de richesse hors de France, est très judicieux. Cette démarche courageuse contribue à réduire significativement le chômage en France et à augmenter le taux d’emploi à des niveaux inédits. C’est important pour le tissu économique, mais aussi pour les ménages. Ils supportent au final les impôts ciblant les entreprises, avec un taux de chômage plus élevé ou des progressions de salaires moins attrayantes.

En revanche, la démarche du Président n’est pas assez aboutie d’un point de vue institutionnel. Il manque une démarche globale et robuste mettant en place les leviers susceptibles d’augmenter durablement le rapport qualité/prix des services publics.

Un exemple : le gouvernement – qui souhaite réduire la fiscalité et dégager des économies dans les collectivités locales – devrait mettre en place une vraie décentralisation financière. Pour aller au terme du démantèlement des impôts de production ou responsabiliser les collectivités dans l’usage de l’argent public, il faut organiser un partage des recettes d’impôt sur les sociétés et de TVA. Tant qu’on ne donnera pas un vraie autonomie et responsabilité financière aux collectivités locales, elles ne seront pas incitées ou en capacité de se poser la question du rapport qualité prix des prestations qu’elles financent.

Les retraites fournissent un autre exemple de manque de vision globale et de confusion des genres.

Pourquoi sommes-nous incapables de regarder lucidement la situation française et de mener une vraie revue des dépenses publiques capable de s’atteler au problème ?

Le vrai problème, c’est de remettre l’Etat à sa place. Trop souvent, l’Etat dépense son énergie voire son crédit dans des actions anecdotiques, s’apparentant à du micro management, tout en passant à côté de l’essentiel. La priorité pour l’Etat devrait être de s’assurer de la mise en place de mécanismes institutionnels permettant de mieux gérer à tous les niveaux. Le rapport qualité prix médiocre des dépenses publiques françaises est la conséquence de gouvernances non qualitatives. L’Etat, au lieu de dicter aux administrations les économies qu’elles doivent faire, doit s’assurer que les différents acteurs publics ont des gouvernances responsables, de réelles marges de manœuvre et renforcer leurs incitations à améliorer le rapport qualité prix des dépenses et prestations publiques.

Les retraites en donnent un bon exemple. Deux fois d’affilée, en 2019-2020 et en 2023, le gouvernement s’est mis en première ligne en s’attirant les foudres des partenaires sociaux et d’une partie significative de l’opinion publique. La première fois avec une réforme systémique d’une ampleur inédite, la deuxième fois avec une réforme paramétrique plus traditionnelle. Mais, en aucun cas, il n’a abordé le problème de fond : depuis le contre choc du baby-boom, la France est dans une position difficile. En raison du sous-développement des capitalisations collectives, elle finance les retraites de ses fonctionnaires par le budget et celles du privé par la répartition. Bilan : le budget est systématiquement déficitaire et les retraités du privé vont connaitre une baisse inédite de leur pouvoir d’achat par rapport aux actifs. Un Etat stratège se serait comporté en employeur et régulateur responsable. Il aurait mis les partenaires sociaux en face de leurs responsabilités, en les aidant à généraliser la capitalisation collective pour enrayer la baisse du pouvoir d’achat des futurs retraités. Il aurait pris ses responsabilités en tant qu’employeur, en provisionnant les retraites des fonctionnaires, à l’image de ce que font le Sénat ou la Banque de France. Au lieu de cela, il a choisi de fermer le régime de retraite de la Banque de France qui – intégralement provisionné – est un des régimes français les mieux gérés.

Retrouvez l’intégralité de cet article, avec les réponses de Michel Ruimy, sur le site d’Atlantico

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