Colloque retraites, fallait-il faire la réforme et quelles perspectives ?
Le 28 septembre, l’Institut économique Molinari participait un colloque sur « La réforme des retraites : impacts, objectifs et perspectives » organisé à l’Université Jean Moulin Lyon 3 par l’équipe Louis Josserand.
Ci-dessous les réponses de Nicolas Marques aux questions posées par Pierre Chaperon (Senior Advisor, cabinet Galea), lors de la table ronde à laquelle participaient aussi Françoise Kleinbauer (Actuaire associée Présidente de France Retraite) et Bastien Urbain (Docteur en droit Consultant au cabinet Ere conseils).
Pierre Chaperon : Pensez-vous qu’une réforme des retraites était nécessaire ?
Nicolas Marques : Il ne fait guère de doute que réformer est nécessaire et qu’il aurait fallu l’expliquer correctement à nos concitoyens.
Avec 112 % de dettes explicites et 430 % de dettes implicites liées aux retraites, la France est en mauvaise posture.
Chaque année, des dépenses courantes sont financées en faisant appel aux marchés de la dette. Or, les marchés sont cruels et l’histoire n’a que trop montré que les États qui perdent la confiance de leurs créanciers sont contraints à des ajustements douloureux.
La réalité des déficits et la contrainte de la dette n’au- raient pas dû être minimisées. La réforme ne pouvait être qu’un chiffon rouge dans l’opinion publique dès lors que l’on a laissé croire aux Français que le système de retraites était peu ou prou à l’équilibre.
Le prétendu équilibre décrit par le COR s’appuie sur un constat partiel. Il oublie les 55 milliards d’euros de subventions d’équilibre des retraites du secteur public (fonctionnaires, SNCF…) . Calculé de façon exhaustive, le déficit des retraites est de 2 % du produit intérieur brut (PIB) par an depuis 20 ans.
Ce sujet est maintenant bien documenté, au travers notamment du rapport du Haut-commissariat au Plan, mais ce diagnostic est tardif.
Il faudrait mettre sur la table la question du provisionnement des retraites des fonctionnaires (1 600 mil- liards d’euros), à l’image de ce que font la Banque de France ou le Sénat. Il faut restituer au budget du pays sa sincérité et surtout alléger le coût pour les contribuables. Par ailleurs, il faudrait diversifier le finance- ment du système de retraite pour l’adapter à la baisse de la natalité.
Pierre Chaperon : Quel regard posez-vous sur la réforme à l’aune de ce qui a été mis en place dans le régime complémentaire Agirc-Arrco ?
Nicolas Marques : Les partenaires sociaux ont montré, dans le cadre du pilotage de la retraite Agirc- Arrco qu’ils étaient des acteurs légitimes, capables de prendre des décisions difficiles et de s’inscrire dans le temps long.
Ce régime paritaire est une fusion inédite et réussie de deux traditions du XIXe siècle : l’auto-organisation ouvrière (sociétés secours mutuels) et les réalisations patronales (caisses d’employeur).
Au contraire, l’État n’a pas compris l’importance des leviers d’auto-responsabilité. Il s’est engagé à servir des retraites aux fonctionnaires, selon une logique de prestations définies en 1853. Il n’a rien fait depuis pour se doter d’une gouvernance efficace et financer les pensions promises sans déséquilibrer son budget.
Le débat autour des réserves constituées par le régime Agirc-Arrco est emblématique des difficultés de l’État à penser le temps long. Les réserves ont permis à l’Agirc- Arrco de faire face au choc du Covid-19 de 2020 et d’attribuer gratuitement des points retraite à des salariés qui ne cotisaient plus en raison de l’explosion du chômage partiel. L’État, qui, pour des raisons historiques, n’a aucune compétence en matière de gestion de caisse de retraite, n’a jamais compris qu’il n’y a pas de répartition solide sans réserves significatives.
Par comparaison, aux États-Unis, le gouvernement a compris, dès 1937 avec Franklin Roosevelt, qu’il fallait protéger la répartition en plaçant en réserve des capitaux. La répartition américaine a aujourd’hui mis de côté 13 % du PIB, ce qui représente deux ans de prestations. Dans des pays aussi divers que la Suède ou le Japon, on trouve des niveaux encore plus significatifs de réserves, avec un tiers du PIB placés, représentant trois ans de prestations retraite.
En France, le régime général (CNAV) a été conçu sans réserves. Le fonds de réserve des retraites a été vidé par l’État pour financer autre chose que des retraites (dette sociale, déficits de la branche maladie…). Pourtant, il a rapporté 11 milliards d’euros depuis 2011 et aurait fait gagner 6 fois plus s’il avait été alimenté comme prévu. La seule institution financière liée à la protection sociale que l’État a fait grossir plus vite que prévu est la caisse d’amortissement de la dette sociale. Créée en 1996 pour amortir 20 milliards sur 13 ans, elle est endettée à hauteur de 136 milliards 27 ans plus tard.
Pierre Chaperon : Quelles pistes d’amélioration du système envisagez-vous ?
Nicolas Marques : Il est indispensable, pour assurer la soutenabilité des retraites, que l’État provisionne la « dette implicite » liée aux retraites des fonctionnaires et qu’il encourage la généralisation de l’épargne retraite collective.
S’agissant des retraites publiques, le provisionne- ment des retraites des agents fonctionnaires et agents publics doit être engagé sans attendre. Le provisionnement, employé avec succès depuis le XIXe siècle par la Banque de France et le Sénat français, permet de dégager des économies significatives qui soulagent les comptes publics et le contribuable .
S’agissant des retraites du secteur privé, il faut généraliser la capitalisation collective. Pour limiter les effets de la baisse des naissances, il faut épauler notre système de répartition avec une dose de capitalisation généralisée. C’est ce qu’ont fait nombre de pays de l’organisation de coopération et de développement économiques. Tous régimes confondus – privé et public –, ils ont en moyenne placé 81 % de leur PIB pour financer les retraites, contre 8 % en France.
La loi PACTE a contribué au développement de cette épargne retraite, mais celle-ci ne couvre pas tout le monde. On a aujourd’hui un monde à deux vitesses.
Des salariés (plan d’épargne retraite (PER) collectif, PER obligatoire) et tous les fonctionnaires (régime de retraite additionnelle de la fonction publique) bénéficient de capitalisations collectives très performantes.
Le reste des actifs n’épargne pas pour la retraite ou le fait dans des conditions moins performantes (PER individuel, absence d’abondement de l’employeur…).
Ces différences vont générer une hausse des inégalités patrimoniales.
C’est pourquoi l’institut Molinari et l’association CroissancePlus proposent de généraliser la capitalisation collective, en complément de la répartition.
C’est le meilleur service que l’on puisse rendre aux actifs comme aux retraités, au financement de la croissance et des grands chantiers d’avenir (transition énergétique…).