Pourquoi la France doit absolument pérenniser son choix historique de l’énergie nucléaire
L’Institut économique Molinari publie cette étude inédite sur l’importance de pérenniser le choix historique français du recours à l’énergie nucléaire. Elle conclut que le choix du nucléaire n’est pas seulement technique et économique. Il est aussi clef d’un point de vue environnemental.
INTRODUCTION
La construction du parc nucléaire Français actuel, qui fournit depuis plus de 40 ans l’essentiel de l’électricité du pays, a été motivée par le premier choc pétrolier de l’histoire, fin 1973. Cette construction fut très rapide : 34 réacteurs de 900 MW et 20 réacteurs de 1 300 MW, soit 54 réacteurs (sur 58 au total) furent mis en service en l’espace de 16 ans, de 1977 à 1993, au rythme moyen de plus de 3 réacteurs/an et jusqu’à 8 réacteurs en 1981 et 6 réacteurs en 1980 et en 1985. Cela grâce à une mobilisation exceptionnelle de l’industrie française, encore puissante à l’époque. Le parc français est ainsi devenu le deuxième au monde après celui des États-Unis, d’un peu plus d’une centaine de réacteurs. Et grâce à sa standardisation, le coût global de construction de ce parc s’est révélé extrêmement compétitif comparé à celui de réacteurs étrangers, généralement commandés à l’unité.
Revenir sur la genèse de cette réussite industrielle permet d’en analyser les causes profondes et d’en tirer des enseignements pour l’avenir. Au sortir de la deuxième guerre mondiale, la France avait très peu de ressources énergétiques en propre, pratiquement pas de pétrole et de gaz, beaucoup moins de charbon que ses voisins. Elle était donc presque totalement dépendante de ses importations, situation qui a contribué à envisager très tôt l’énergie nucléaire. Les premiers réacteurs nucléaires électrogènes sont nés dans les années 1960, sur la base de la filière UNGG (Uranium naturel graphite gaz) développée par le CEA. Deux motivations principales ont présidé à ce choix : le fait qu’elle utilisait de l’uranium naturel (comportant 0,7 % d’uranium U235 fissile, le reste étant constitué d’uranium U238 non fissile) et sa capacité plutonigène permettant de développer la force de frappe nucléaire. Cette filière souffrait cependant de deux inconvénients pour produire de l’électricité : elle était complexe et donc chère et sa puissance était limitée vers 550 MW par sa taille. Six réacteurs de ce type ont néanmoins été mis en service entre 1963 et 1972.
Parallèlement, les Américains avaient développé et mis au point des réacteurs beaucoup plus simples et moins chers, utilisant l’eau légère et l’uranium légèrement enrichi en U235 (vers 4 %) et qui pouvaient atteindre des puissances bien supérieures (900 MW à l’époque). Mais il fallait disposer d’uranium enrichi. Très tôt, dès la deuxième partie des années 1960, la question s’est donc posée du choix de la filière à retenir et des études approfondies ont été commanditées par les pouvoirs publics, en s’appuyant sur l’expertise du CEA et d’EDF. Pour comparer les deux filières, un premier appel d’offres fut lancé en 1968 pour le site de Fessenheim, qui fit apparaître un prix de l’option UNGG trop élevé. Un deuxième appel d’offres fut lancé en 1970 pour des réacteurs à eau légère américains. Deux conditions étaient imposées par les pouvoirs publics : la possibilité de franciser la filière (c’est-à-dire de construire en France et de pouvoir ensuite se dégager des licences américaines) et la construction d’une usine civile d’enrichissement de l’uranium. Deux entreprises étaient en compétition : Framatome pour les réacteurs à eau pressurisée (REP) sous licence Westinghouse et la CGE (Compagnie générale d’électricité) pour la technologie à eau bouillante (REB) sous licence GE (General Electric). Framatome l’emporta et la construction de deux réacteurs à Fessenheim fut engagée. Les pouvoirs publics autorisèrent en outre EDF à engager trois nouveaux réacteurs de même technologie en 1971 et 1972 et lui demandèrent de se préparer à engager un à deux réacteurs par an durant la décennie, dans le cadre d’un contrat de programme signé entre EDF et l’Etat.
Il faut souligner la vision prospective des responsables politiques de l’époque, soucieux de souveraineté du pays et de politique énergétique à long terme, s’appuyant de façon rationnelle sur les compétences scientifiques et industrielles des organismes et des entreprises du secteur.
Cette vision prospective va se révéler extrêmement précieuse lors des chocs pétroliers d’octobre 1973 et de janvier 1974, qui conduisirent à un quadruplement du prix du baril en moins de quatre mois, faisant bondir les importations de pétrole de 1,5 % du PIB à près de 6 %. Face à cet évènement aux conséquences économiques et sociales considérables, l’État s’est à nouveau montré stratège dans des délais très courts : dès le 22 novembre 1973, il lançait la construction de l’usine d’enrichissement d’uranium Eurodif sur le site de Tricastin et dès le 6 mars 1974, celle de 6 réacteurs d’environ 1 000 MW puis, en 1975, celle de 7 autres réacteurs. La CGE n’ayant pas la capacité industrielle nécessaire laissait Framatome seul en lice. Il n’y avait plus de concurrence, mais EDF misa sur la standardisation des réacteurs et l’effet de série qui en résultait pour maîtriser les coûts, calcul qui se révèlera gagnant. Le programme nucléaire de réacteurs REP était lancé et aboutira à la construction de 58 réacteurs.
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