Nucléaire: nécessité fait loi
Il aura fallu une explosion des prix de l’énergie ruineuse pour les ménages et un bouclier tarifaire tout aussi ruineux pour les finances publiques pour enfin renverser un désinvestissement majeur dans le nucléaire. Chronique par Cécile Philippe, présidente de l’Institut économique Molinari, publiée dans Les Échos.
Le nucléaire est redevenu populaire dans de nombreux pays au point que de nouveaux réacteurs sont en construction dans une bonne vingtaine de pays. L’Allemagne résiste, sans avoir heureusement bloqué un vote important fin 2023 ratifiant la mise en place de mesures post-marché permettant de stabiliser les prix et surtout applicables au nucléaire. Il aura fallu une explosion des prix de l’énergie ruineuse pour les ménages et un bouclier tarifaire tout aussi ruineux pour les finances publiques pour enfin renverser – durablement on l’espère – un désinvestissement majeur dans le nucléaire, qui fut jadis un fleuron de l’industrie française.
La dynamique des politiques publiques ne laisse pas de surprendre. Des errements durables se maintiennent jusqu’à ce que crises majeures provoquent du changement. Il y a évidemment de quoi se réjouir de cette inversion de tendance qui marque la victoire d’une solution pragmatique et efficace permettant de résoudre un grand nombre de défis. Le nucléaire est en effet une source d’énergie durable, sûre, abondante, tout cela à des prix compétitifs et stables.
L’expert Georges Sapy a ainsi calculé pour l’Institut économique Molinari qu’en 45 ans, le nucléaire en France a permis d’éviter environ 25 fois les émissions totales de CO2 de 2022. L’emprise au sol des installations est très modeste (80 fois moins que le solaire et 400 fois moins que l’éolien) et la gestion des déchets maîtrisée. En dépit d’accidents spectaculaires, selon World in Data, l’énergie nucléaire est avec le solaire et l’éolien, l’énergie qui tue le moins par unité d’énergie produite. Elle est 100 fois moins létale que le gaz et 1000 fois moins que le charbon. Par ailleurs, les réserves d’uranium représentent 100 fois les consommations annuelles de l’industrie nucléaire. A la différence du pétrole, elles ne sont pas dans les mains de pays se comportant comme des cartels, le Canada et l’Australie représentant 38% des réserves connues.
Enfin, et c’est un élément très important, le nucléaire permet un prix de l’électricité compétitif et abordable. Tant que le prix de l’énergie est resté abordable, les Français se sont peu inquiétés de l’impopularité grandissante du nucléaire. L’explosion des prix a rétrospectivement fait réaliser à quel point nous sommes les heureux héritiers d’investissements visionnaires dans une énergie qui, soudainement, retrouvait sa réputation mise à mal de façon inconséquente.
Cela ne signifie pas pour autant que la partie est gagnée. Car au sein de l’Union européenne, l’Allemagne reste fermement opposée au nucléaire, l’obligeant à recourir au charbon au prix d’une intensité carbone par Kwh produit d’environ 430 g versus 50 en France sur la première quinzaine de janvier. Craignant pour sa compétitivité, l’Allemagne pourrait faire en sorte que la banque européenne d’investissement (BEI) reste à l’écart des projets de financement du nucléaire.
Même face à des défis incommensurables comme celui de bénéficier d’une énergie abordable et abondante, d’éviter les émissions de CO2 ou les nouvelles guerres sur les ressources rares, il ne suffit pas d’avoir un bon substitut comme peut l’être le nucléaire. Encore faut-il que celui-ci soit populaire, soutenu et reconnu par la population et les autorités. La crise énergétique a contribué à inverser la tendance. Que faudra-t-il pour en convaincre les Verts allemands sans que cela nuise profondément à toute l’Europe?