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La taxe, cette idée fixe!

Texte d’opinion de Michel Monier publié en exclusivité sur le site de l’Institut économique Molinari.

En 1974, les boomers s’en souviennent, un slogan allait faire florès : « En France on n’a pas de pétrole, mais on a des idées ! ». L’Agence pour les économies d’énergie, nouvellement créée, ignorait qu’avec ce slogan elle ajoutait au roman national. Les « idées » se substituaient à l’État stratège dont la dernière manifestation était le Plan Messmer qui lançait le programme de 13 centrales nucléaires pour assurer l’autonomie énergétique du pays. Nous savons ce qu’est devenue cette ambition qui trouvait l’opposition grandissante des Verts jusqu’à celle de la Commission européenne[1]. Mais ce n’est pas le sujet. En 1974, la France avait des idées. Il en est une qui est devenue une idée fixe : celle de la taxe, celle de l’impôt.

Le constat qui suit illustre combien les exécutifs successifs ont eu, depuis 1974, de la suite dans les idées : le taux de prélèvements obligatoires, de 33,7% du PIB en 1974, passe, en 2023, à 43,2%. La dette publique était de 30,4 Mds€, représentant 14,5% de PIB, en 2023 elle est de 3101,4 Mds, soit 110,6% de PIB[2]. Les gènes de l’action publique ont muté, elle souffre d’une maladie auto-immune :  exposée à la taxe, la Finance publique fabrique de la dette, qui fabrique de la taxe.

Ce mal des finances publiques c’est, nous disent les économistes, la sur-élasticité de la dépense publique au PIB (quand le PIB augmente de « 1 », la dépense publique augmente de plus « que » ce « 1 ») et l’expliquent par le fait que le progrès -économique, social et démocratique- crée des besoins sociaux nouveaux (santé, éducation, culture…). De ce constat, la haute administration et le personnel politique ont fait un théorème, mieux, une loi naturelle : la dépense publique doit augmenter davantage que la richesse créée. On regrettera que le constat de l’augmentation continue des prélèvements obligatoires et de la dette n’ait pas été porté, lui aussi, au rang de théorème : la dépense publique crée la dette jusqu’à asphyxier le souffle de l’Économie.

L’idée fixe, le réflexe de la taxe et de l’impôt, prospère donc gentiment au point qu’aujourd’hui la prise de conscience de l’insoutenabilité de la dépense publique ne fait pas changer, bien au contraire !  Le réflexe de la taxe joue à plein. Le difficile effort de réduction, non pas de la dépense publique mais de la vitesse d’augmentation de la dépense publique ne va pas sans un concours Lépine de la taxe. L’art est difficile, mais il est maîtrisé. Ainsi des dépenses de santé : le souci de maîtriser la dépense publique de santé fait reporter sur les mutuelles les économies recherchées. Tour de magie ? Tour d’illusionniste ! Le contribuable ne paie pas, ce sont les mutuelles donc leurs adhérents qui sont, par ailleurs, contribuables ! De même des jours de travail non rémunérés pour financer telle politique publique. Un autre tour d’illusion.

La chose est tellement ancrée que chaque Loi de finance s’accompagne de la liste des ministères perdants et des ministères gagnants ces derniers étant ceux qui démontrent, fièrement, que l’élasticité à la hausse de leur budget est, non seulement supérieure à la variation du PIB mais supérieure encore à celle de la dépense publique totale. La chose est tellement ancrée que tout un vocabulaire habille cette science de la dépense publique. Il y a le concept (et la réalité) des PO, les prélèvements obligatoires, qui heurte celui du consentement à l’impôt en jouant comme un effet de cliquet. Il y a mieux encore : les dépenses fiscales ! Est dépense fiscale une mesure d’exonération ou d’allègement, une « niche » fiscale qui vient réduire le produit escompté d’une taxe ou d’un impôt. De PO en dépense fiscale la réalité qui s’installe est celle du tout État. Il faut nommer ça socialisation. Une socialisation à bas bruit qui se fait trop souvent avec des effets contre-productifs. Laissons le fait que, dans bien des cas, elle déresponsabilise pour tout attendre de l’État. Le cas de la Santé est illustratif des effets sociaux négatifs de cette socialisation. Le transferts de non-remboursements ou de déremboursements de la « Sécu » vers le secteur privé des mutuelles fait émerger une Santé à deux vitesses (au moment où l’État-employeur promeut les contrats santé-prévoyance collectifs). Le secteur 2, accessible à ceux qui sont bien assurés, est promis à un bel avenir.  Les aides à l’emploi, avec leurs effets négatifs de pièges à bas salaires, les aides à la pierre avec l’effet inflation du prix du m: autant d’illustrations.

Il y a plus profond encore : le système des retraites est le « morceau choisi » de cette idée fixe. Un « pilier » capitalisation ? Voilà qui est compris, tout à la fois, comme néolibéral et conservateur et, pire, mise à bas du système par répartition. Le débat sur les retraites ajoute du mauvais grain à moudre au débat qui se fait sur les privilèges dont bénéficient les boomers. Ce débat est un sophisme : le problème n’est pas celui des avantages des boomers mais le désavantage des jeunes actifs qui supportent trop de taxes et impôts. La lutte des classes, épuisée, a fait place au communautarisme et c’est maintenant une lutte des classes d’âges qui vient, tout autant destructrice du lien social.

Les retraites donc, morceau choisi de l’idée fixe de la taxe. Le « moment » de la capitalisation, celui de la responsabilisation de l’État-employeur, celui de l’épargne retraite est-il arrivé ? Il semble que non. Le réflexe du concours Lépine de la « bonne taxe » est lancé, il évite de poser la question d’une réforme qui, en recherchant UNE solution applicable au régime général du privé, à celui de la fonction publique et aux régimes spéciaux, ne sera, une fois encore qu’une taxe implicite nouvelle sur le secteur privé qui crée le PIB.

Il est vrai que demander un effort aux gens du public obligerait à une contrepartie de rémunération et donc une augmentation des PO ! Le niveau atteint par l’emploi public fait jouer pleinement l’effet de cliquet : pas de marche arrière possible ! Ainsi des 4000 postes de l’Éducation nationale qu’on ne peut supprimer, ainsi des jours de carence et de biens d’autres exemples tel que la CSG-activité compensée pour les fonctionnaires qui ne courent pas le risque de chômage (logique surprenante qui pourrait faire exonérer du financement de l’Éducation nationale tous ceux qui n’ont pas d’enfants scolarisés.) Pas d’économie possible, donc, sur la masse salariale publique qui, pourtant, rapportée au PIB est de même niveau (12,3%) que la dépense de retraite (13 à14%)[3]. L’appareil de l’État, cet irréformable « village gaulois » prospère avec l’idée fixe.  Est-ce là l’expression d’un corporatisme ou la manifestation d’un conflit d’intérêt qui, en toute circonstance, fait opter pour la socialisation, sous couvert de la morale de la redistribution, au détriment de la répartition à la production ? Le réflexe de la taxe alimente une formidable administration, cette fabrique de l’action publique ignorante des gains de productivité.

Au point qui est atteint (taux des PO, niveau de la dette, délitement du lien social) il faut « casser » ce réflexe, il faut faire maigrir l’appareil d’État et adapter le système de protection sociale aux évolutions du monde du travail. L’action publique doit privilégier l’Économie à la politique. S’il faut une règle d’Or, c’est celle de l’inélasticité de la dépense publique au PIB. S’il faut une trajectoire des finances publiques c’est la voie de la réduction progressive mais volontaire de l’emploi public qu’il faut ouvrir.

Michel Monier, ancien DGA de l’Unédic, est membre expert emploi-chômage du Cercle de recherche et d’analyse de la protection sociale (Think tank CRAPS). Auteur de plusieurs essais sur les politiques publiques, il est contributeur à la Revue politique et parlementaire. Il est diplômé de l’IEP Toulouse, de l’IAE-Sorbonne Business School, ancien élève de l’Ecole du commissariat de l’Air.

Notes

[1] « Le nucléaire français n’est pas sorti d’affaire », Institut économique Molinari, 15 décembre 2024.
[2] Source : Insee
[3] Sources : Insee et Fipéco

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