La France pénalise les hôpitaux privés sans but lucratif
Article publié dans Le Temps le 29 septembre 2010.
On voit apparaître en Suisse des menaces concernant la concurrence entre établissements hospitaliers publics et privés. Il semble en effet possible que les cantons – propriétaires et exploitants d’hôpitaux publics – envisagent de privilégier ces derniers aux dépens des hôpitaux privés. C’est un phénomène qui existe déjà en France où les hôpitaux privés sans but lucratif (HPSBL) – qui remplissent le même « service public hospitalier » que les hôpitaux publics – sont depuis leur création pénalisés par des obstacles réglementaires qui ne pèsent en rien sur leur alter ego public.
Il est généralement mis en avant que le secteur hospitalier privé n’offrirait que la prise en charge des malades les plus « rentables », laissant les cas les plus « lourds » au secteur public. Même si cette critique est souvent faite vis-à-vis des cliniques privées en France, elle ne s’applique certainement pas aux HPSBL français qui traitent, au contraire, en moyenne des cas aussi, voire plus graves que ceux des hôpitaux publics. La « lourdeur » des cas traités est ainsi supérieure à celle de la majorité des petits et moyens hôpitaux publics et assez comparable à celles des grands centres hospitaliers universitaires français.
Mais à la différence des hôpitaux publics, les HPSBL sont gérés de façon moins rigide, leur personnel n’ayant pas le statut de fonctionnaire. Représentant 28 % de tous les établissements hospitaliers, 14 % des lits et 18,4 % des places en France, ils sont également davantage susceptibles de s’adapter aux besoins de santé futurs de la population.
D’origine religieuse ou confessionnelle, ou encore fruits de la charité et de l’initiative d’individus privés, les HPSBL sont historiquement des pionniers dans le domaine hospitalier. Ils sont aussi à la pointe de ce qui se fait en médecine.
Ainsi, dans des classements annuels des hôpitaux, comme celui du Point en France, ils occupent le haut du « pavé » dans plusieurs spécialités. Deux d’entre eux – l’Institut mutualiste Montsouris et le Groupe hospitalier Diaconesses/Croix-Saint-Simon – sont classés premiers dans trois spécialités différentes ; la Fondation Rothschild l’est pour la chirurgie de la myopie et de la rétine, l’Hôpital Sainte-Blandine pour le traitement des varices, etc. Plusieurs d’entre eux jouent aussi un rôle important dans la fourniture de soins hospitaliers dans leurs régions respectives.
Paradoxalement, ces performances ont été atteintes en dépit de plusieurs obstacles réglementaires qui les ont désavantagés au cours des dernières décennies par rapport, notamment, aux hôpitaux publics.
Par exemple, ceux-ci ont couramment pratiqué – du moins jusqu’en 2006 – le report de charges, interdit aux HPSBL. Cette technique permet aux hôpitaux publics de couvrir une dépense de l’exercice en cours avec les crédits de l’exercice suivant. Près de 2,2 milliards d’euros par an de charges ont ainsi été reportés entre 2002 et 2005, avec un pic de 713,6 millions d’euros pour l’ensemble des établissements publics en 2004, soit 1,4 % des charges totales des hôpitaux !
De telles pratiques ont permis aux hôpitaux publics de reporter dans le futur le mauvais état de leurs comptes et de creuser davantage leur déséquilibre. De cette façon, ils n’ont pas été forcés d’opérer des réductions de coûts et de personnel, souvent politiquement et syndicalement impopulaires.
Alors que les coûts de main-d’oeuvre correspondent généralement à environ 70 % des coûts totaux d’un établissement de santé, les HPSBL sont aussi pénalisés par des charges sociales obligatoires plus élevées que celles s’appliquant aux hôpitaux publics. Selon des chiffres officiels, ce différentiel de charges s’avère 27,1 % plus élevé en moyenne pour tous les HPSBL confondus dans l’emploi de personnel médical !
Ces obstacles ont entravé le développement du secteur hospitalier privé sans but lucratif en France. Sans eux, leur part dans l’offre de soin serait plus substantielle et ne déclinerait pas au profit de l’hôpital public, en mal de réforme. Par exemple, entre 1998 et 2007, la diminution du nombre total de lits en hospitalisation complète a été de 16,8 % dans le cas des HPSBL, alors qu’il n’a été que de 6,5 % dans les hôpitaux publics. Cette perte n’a été que partiellement compensée par une augmentation des places d’hospitalisation partielle durant cette période, plus de deux fois moins élevée dans les HPSBL que dans les hôpitaux publics.
Aux Pays-Bas, en revanche, les HPSBL constituent la quasi-totalité (90 %) des établissements hospitaliers. Leur souplesse a d’ailleurs favorisé la réforme de la santé de 2006. En effet, avant cette réforme, les HPSBL subissaient de plein fouet les conséquences de la maîtrise comptable des coûts qui les a poussés à allonger les files d’attente pour les patients. Cette étatisation – similaire à celle en cours en France a été à l’origine de files d’attente croissantes pour les patients. En 2001, environ 244 000 malades attendaient pour des soins hospitaliers, pour un coût estimé en termes de perte de bien-être, de revenu et de productivité, d’handicaps à long terme, etc., de 3,2 milliards d’euros par an (6,1 % des dépenses totales de santé).
Après la réforme, les professionnels de santé et les HPSBL se sont, au contraire, vu confier une plus grande liberté dans la négociation des arrangements de fourniture de soins et des tarifs des actes médicaux. La réforme, la réactivité et la souplesse des HPSBL ont permis en conséquence une réduction des files d’attente : elles ont cessé d’être perçues comme un problème aux Pays-Bas. Leur réduction s’est d’ailleurs faite alors que les dépenses totales de santé ont augmenté moins vite après la réforme, entre 2006 et 2008 (+5,3 % en moyenne par an), qu’avant celle-ci, entre 1998 et 2005 (+7,6 %) !
Comme aux Pays-Bas ou en Suisse, les HPSBL français allient une gestion privée plus souple qui ne souffre pas des rigidités qu’implique le statut de la fonction publique. Il est temps que l’État s’assure que l’ensemble des obstacles qui les étouffent en France soit levé !
Valentin Petkantchin est chercheur associé à l’Institut économique Molinari.