La pénibilité : un compromis bancal !
Article publié le 02 novembre 2010 sur le site LeMonde.fr.
La réforme des retraites est votée. Elle prévoit le relèvement progressif de l’âge légal de la retraite, qui passera de 60 à 62 ans en 2018. Une grande partie des débats a été axée sur la notion de pénibilité. Pour les partenaires sociaux, l’augmentation de l’âge légal de la retraite devait nécessairement s’accompagner d’un mécanisme destiné à préserver la situation des salariés n’étant pas en situation de travailler plus longtemps. Le gouvernement a pris en compte l’argument, en permettant le maintien de la retraite à 60 ans pour les salariés ayant une incapacité physique supérieure ou égale à 10 % du fait d’une situation d’usure professionnelle constatée. Un compromis qui risque de s’avérer bancal, tant les aspirations sont contradictoires.
Pour d’aucuns, cette mesure vise à corriger les disparités d’espérance de vie et donc de retraite. Les personnes vivant moins longtemps sont en effet plus particulièrement pénalisées par le relèvement progressif de l’âge de la retraite. L’argument est économiquement fondé. Une étude récente montre qu’à 50 ans, l’espérance de vie des professions les plus qualifiées atteint 32 ans pour les hommes, soit près de 5 ans de plus que celle des ouvriers. Si on compare l’espérance de vie en bonne santé perçue (EVBS), les hommes de 50 ans qui ont une profession qualifiée peuvent espérer vivre 23 ans en bonne santé perçue, contre un peu moins de 14 ans pour les ouvriers. Une règle uniforme de départ à la retraite favorise nécessairement les plus qualifiés, au détriment des ouvriers. La recherche d’une règle plus juste d’un point de vue actuariel conduirait à moduler les prestations, en fonction des cotisations versées et des espérances de vie à la retraite. Pour autant, les syndicats sont sans doute peu enclins dans cette voie qui a le double défaut de s’apparenter à une logique assurantielle et de nuire aux intérêts directs d’une partie de leurs adhérents. En effet, le raisonnement actuariel conduirait à bonifier les retraites de ceux ayant une espérance de vie faible, en contrepartie d’une diminution de celles de ceux ayant une espérance de vie plus longue, parmi lesquels les cadres de la fonction publique.
Pour d’autres, cette mesure vise à compenser des conditions de travail particulièrement difficiles. L’argument est très ancien puisqu’il remonte à Colbert, qui avait mis en place une caisse de retraite pour les marins afin de compenser les désavantages inhérents à cette profession. Il est cependant dangereux. Primo, il est difficile de définir objectivement quelle profession est pénible ou ne l’est pas. Secundo, une profession peut être pénible à un instant et ne plus l’être à un autre, sans qu’il soit aisé de remettre en cause les avantages accordés. C’est le cas par exemple de la conduite de locomotives, aujourd’hui bien moins pénible qu’à l’époque de la vapeur, sans que les avantages accordés par la SNCF soient remis en cause. Mais surtout, il n’est pas sain que la pénibilité d’un emploi soit prise en charge par la collectivité. C’est à l’employeur de la compenser, en accordant des compensations telles que des conditions financières plus favorables, des avantages en nature ou des évolutions ultérieures de carrières vers des postes moins pénibles. Reconnaître un statut spécifique pour la pénibilité, c’est courir le risque de la favoriser.
Sur le fond la mesure risque d’être couteuse, si les commissions « pluridisciplinaires » en charge de l’examen des dossiers sont trop généreuses. Elle risque d’en décevoir beaucoup si tel n’était pas le cas. L’archétype du compromis bancal.
Nicolas Marques est chercheur associé à l’Institut économique Molinari.