Médicaments : le déni de l’innovation graduelle en France
Texte d’opinion publié dans La Tribune le 20 avril 2011.
L’affaire récente du Mediator rappelle que les risques réels des médicaments ne sont pas tous connus à l’avance. Ils sont à découvrir à mesure de leur utilisation par les médecins et leurs patients. C’est en améliorant sans cesse les traitements existants que les groupes pharmaceutiques ont diminué ces risques. Or, sous la pression de la « maîtrise » comptable des coûts de l’assurance-maladie, cette innovation graduelle est particulièrement menacée en France aux dépens des patients et de leur qualité de vie.
Normalement, quelle que soit la nature d’un nouveau produit ou service, son caractère novateur et le progrès qu’il représente sont évalués directement sur le marché. C’est par un processus spontané et minutieux que l’innovation est valorisée par l’ensemble des consommateurs en fonction de leurs préférences. Si un nouveau produit ne représente pas de progrès, il n’est pas demandé et son fabricant est directement incité à en arrêter la production.
Dans le domaine du médicament, cette logique a cependant été écartée par les pouvoirs publics. L’appréciation du progrès apporté par les nouveaux médicaments est confiée à un organisme bureaucratique peu connu des Français, la Commission de la transparence (CT). Bien que présentés comme « scientifiques », ses avis souffrent d’un arbitraire irréductible de par son mode de fonctionnement et de prises de décision éminemment politiques. En effet, c’est après des débats dont la teneur est gardée secrète et par un vote à la majorité simple que la CT essaie de « quantifier » le caractère innovant des médicaments avant leur commercialisation en France. Or, à l’évidence, ce n’est pas ainsi que les vérités scientifiques sont établies et que la science progresse.
Il existe ainsi, de fait, une réelle déconnexion entre ceux qui évaluent les nouveaux traitements et ceux qui sont censés profiter de leurs bénéfices éventuels. Les destinataires ultimes — les patients conseillés par leurs médecins— n’ont pas voix au chapitre. Une telle déconnexion est risquée dans le contexte français où la « maîtrise » comptable des dépenses de santé reste une priorité des pouvoirs publics. Il y a une forte pression pour sous-évaluer, voire ignorer, une partie de l’innovation. S’il est difficile d’ignorer les nouveaux médicaments « pionniers » ouvrant la porte à de nouvelles classes thérapeutiques à l’image de la pénicilline traçant la voie des antibiotiques, ce n’est pas le cas des produits présentant une innovation graduelle, moins « visible », mais tout aussi réelle. Ainsi, des critères importants pour les patients et leur qualité de vie au quotidien comme l’acceptabilité, la commodité d’emploi et d’observance (un patch ou une prise orale à la place d’une injection, par exemple), les compléments de gamme, etc., ont été exclus en 2004 de la grille d’évaluation de la CT.
Bien qu’innovant sous tous ces rapports, un médicament risque toujours de se voir décerner la pire note. Le nombre de ces mal notés est passé en moyenne de 62 % des nouveaux produits examinés en 2003-2004 à 89 % en 2008-2009. Soit près de 9 sur 10. Or, la note donnée par la CT (appelée ASMR IV ou V) signifie que le médicament ne sera commercialisé que si son prix est inférieur à celui des traitements existants, même s’il s’agit du prix d’un générique fixé dix ou quinze ans auparavant, sans indexation sur l’inflation. Des baisses de prix imposées aux laboratoires peuvent ainsi être considérables, atteignant 75 % du prix de référence, comme ce fut le cas d’un antalgique ayant reçu une ASMR V en 2006.
De telles pratiques de prix artificiellement bas peuvent entraîner une commercialisation retardée, voire la non-commercialisation en France de certains médicaments pourtant disponibles ailleurs. Des prix trop bas — qui ont suivi l’attribution d’ASMR défavorables par la CT — ont par exemple empêché la mise sur le marché de nouveaux traitements de la maladie de Parkinson, même si le traitement de référence datait des années 1960 avec des effets secondaires considérables. Cette évaluation bureaucratique n’est pas non plus sans danger à plus long terme pour l’innovation graduelle qui risque de devenir moins rentable pour les laboratoires. Et ce aux dépens, in fine, des malades, qui n’ont pas voix au chapitre.
Alors qu’on déplore les risques du Mediator, il devient crucial de réaliser que le système incarné par la CT a justement rendu impossible la mise sur le marché de médicaments qui auraient pu traiter les mêmes maux tout en réduisant graduellement les effets secondaires et risqués de celui-ci. À force de retoquer arbitrairement des médicaments, les Français sont privés d’alternatives à des traitements qui pourraient se révéler risqués avec le temps.
Valentin Petkantchin est chercheur associé à l’Institut économique Molinari.