La lutte antitabac et le fantôme de la prohibition
Texte d’opinion publié dans Les Échos le 30 mai 2012.
Comme l’écrit un auteur américain (Charles Hanson Towne) à propos de la prohibition de l’alcool aux États-Unis dans les années 1920 – sans doute l’une des expériences occidentales les plus sévères en la matière – « elle nous est venue comme un fantôme ; elle nous a pris par surprise tel un voleur dans la nuit ». Or, ce fantôme rôde de nouveau. Le rapport remis par le député Yves Bur le 1er mars dernier confirme qu’il est désormais bien présent en France.
En effet, les États se sont engagés – sous l’impulsion notamment de la Convention-cadre de la lutte anti-tabac de l’OMS entrée en vigueur en 2005 – dans une logique de « dénormalisation » et de pénalisation croissante du marché officiel du tabac. En plus d’une fiscalité de plus en plus lourde, un véritable « arsenal réglementaire » est également déployé. Si bien qu’on voit clairement – face à une demande qui « refuse » de disparaître – se profiler la question pure et simple de sa prohibition.
En Finlande, l’objectif serait de rendre le pays « sans fumée » en 2040 et en Islande, on propose d’interdire la vente de tabac, sauf en pharmacie et, après quelques années, sous ordonnance. Le Bhoutan, en Asie, a même franchi le pas, en interdisant totalement la vente de tabac en 2004.
La politique proposée par Yves Bur engagerait la France sur cette même voie. Elle préconise ainsi de nouvelles hausses de prix, une nouvelle taxe sur le chiffre d’affaires des compagnies de tabac, mais aussi l’imposition d’un paquet générique (comme en Australie) et l’obligation d’une vente sous le comptoir, entre autres choses.
Si l’ambition n’est pas encore de rendre le pays « sans fumée », comme en Finlande, les conséquences de la nouvelle politique seront les mêmes.
Car qu’il s’agisse d’une prohibition de jure comme au Bhoutan ou de facto via une politique de « dénormalisation » consistant à « étouffer » graduellement l’offre légale de tabac, de telles politiques ignorent les principes économiques et sont pires que le mal.
Elles sont impuissantes à faire disparaître les raisons pour lesquelles le tabac est au fond désiré, recherché et demandé. L’expérience – que ce soit celle du Bhoutan ou celle des États-Unis lors du « régime sec » – confirme que les politiques de prohibition ne font pas disparaître la consommation du produit interdit.
Ensuite, les néo-prohibitionnistes semblent préférer ignorer que tant que cette demande persiste, il existe du coup des opportunités de profit. Ainsi, mettre l’offre légale de tabac « hors jeu », c’est ouvrir grande la voie au marché noir. Celui-ci prend systématiquement le relais pour satisfaire la demande. Pas étonnant qu’au Bhoutan, comme le souligne une étude, « du fait de l’interdiction, la contrebande de tabac illégal et le marché noir restent solides ».
Ce marché noir est déjà très dynamique et bien organisé au niveau mondial. Il est estimé à 11% du marché mondial, nourri par une fiscalité écrasante qui atteint par exemple en France 80% du prix de détail d’un paquet. Il ne manquera pas de se substituer à l’offre légale, si les actions toujours plus prohibitives des pouvoirs publics finissent par la faire disparaître.
Or, sur un marché illicite les consommateurs font face à un manque d’information chronique et à des produits de moindre qualité, parfois plus puissants et plus dangereux pour la santé. Par exemple, il a été constaté que les cigarettes de contrebande, produites dans l’illégalité, pouvaient avoir des niveaux de cadmium et de plomb – des métaux nocifs pour la santé – 6,5 et 13,8 fois plus importants que dans les cigarettes originales de marque.
De plus, les politiques néo-prohibitionnistes aggraveront immanquablement la situation – pourtant peu reluisante – des finances publiques. En plus de supprimer les recettes fiscales de la filière légale (environ 13,2 milliards d’euros sans compter les recettes liées à la fiscalité des entreprises telles que l’impôt sur les sociétés, etc.), elles génèrent des coûts supplémentaires pour lutter contre les trafiquants. La population dans son ensemble risque également de souffrir de l’augmentation du crime organisé avec son lot de violence et de corruption qui l’accompagnent.
La présence d’une offre légale de tabac est ainsi paradoxalement le seul « rempart » contre les effets pervers de la prohibition. Les pouvoirs publics ne devraient pas l’oublier dans leurs tentatives et ambitions politiques de mettre fin à la consommation du tabac.
Valentin Petkantchin est chercheur associé à l’Institut économique Molinari.