Les biocarburants : une prise de conscience tardive
Texte d’opinion publié le 31 janvier 2013 sur 24hGold.
Après des dizaines d’années de politiques favorables, les biocarburants reçoivent désormais une presse défavorable. La décision politique dans le cadre du Grenelle de l’environnent de parler d’« agro-carburants » à la place des « biocarburants » précédemment invoqués est symptomatique de la disgrâce de ce produit, ancienne « vache sacrée » des environnementalistes pour reprendre les mots de Michal L. Rosenoer, un analyste de l’association les Amis de la Terre.
En remplaçant le préfixe « bio » (chargé dans l’imaginaire de nombreuses personnes de connotations positives, et désormais uniquement réservé aux produits issus de l’agriculture sans pesticides) on souhaite signifier que les biocarburants ne possèdent pas les vertus environnementales qui leur avaient longtemps été attribuées. En effet, depuis quelques années, les critiques à l’égard des politiques favorisant la production de biocarburants se sont faites de plus en plus nombreuses. Le grand public commence à prendre conscience de leurs effets néfastes, sur le plan social autant qu’environnemental.
Par biocarburants ou agro-carburants, on fait principalement référence à deux types de produits. D’un côté, le biodiesel (appelé aussi biogazole) est un carburant biodégradable pour les moteurs à allumage par compression, qui peut être fabriqué à partir de différentes espèces végétales oléifères comme le jatropha, le palmier à huile, le tournesol, le colza, ou encore le ricin. Le bioéthanol (en mesure de remplacer partiellement ou totalement l’essence) est quant à lui obtenu par fermentation de sucres à partir de différentes plantes comme la canne à sucre, le maïs, la betterave ou encore le blé.
À ces deux types de carburants s’ajoutent les biocarburants dits de deuxième génération (comme l’éthanol cellulosique, fabriqué à partir de déchets agricoles et ligneux comme la paille de blé, la canne à sucre ou encore le maïs) et de troisième génération (comme l’algocarburant, obtenu à partir d’algues et qui, pour l’heure, reste peu compétitif compte tenu de son prix dissuasif, aux alentours de 10 euros hors taxes par litre de combustible).
Les principaux producteurs d’éthanol sont actuellement les États-Unis, le Brésil et la Chine, tandis que les principaux producteurs de biodiésel sont issus de l’Union Européenne (85% de la production mondiale) : l’Allemagne (53% de la production européenne), la France (16% de la production européenne) et l’Italie (12% de la production européenne). En termes globaux, presque la moitié de la production globale de biocarburants vient des États-Unis (éthanol à partir du maïs), 25% du Brésil (éthanol à partir du sucre de canne) et 18% de l’Union européenne (biodiesel à partir du colza).
Une prise de conscience a eu lieu avec les crises alimentaires de 2008, lorsque l’indice des prix des denrées alimentaires réalisé par la FAO (l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture) a augmenté de 139 à 219 (entre février 2007 et février 2008), reflétant une augmentation significative dans la plupart des pays des prix du blé, du maïs et du soja. La même année, l’Agence européenne de l’environnement produisait un rapport soulignant la pression exercée sur les terres agricoles et les sources d’eau. L’augmentation des terres agricoles contribue en effet à la déforestation (ce qui en fin de compte rend le bilan carbone des biocarburants beaucoup plus mitigé) et diminue les nappes phréatiques.
Les effets de la production des biocarburants sont certainement complexes, voire impossible à décrire en détails dans la mesure où personne ne saurait reproduire exactement les choix des entrepreneurs et des consommateurs si la production des biocarburants était plus faible. Il est toutefois certain que cette augmentation artificiellement stimulée dans les années 90 et 2000 a sensiblement modifié la structure de production agricole.
Il est crucial de comprendre que ce qui est nuisible n’est pas le produit en tant que tel, mais les politiques qui ont encouragé une surproduction, détournant ainsi des ressources alimentaires et des terrains qui auraient pu être utilisés à d’autres fins. Les deux prochains articles se pencheront sur les causes de cette situation, en analysant les subventions apportées à ce type de production et en évaluant leurs effets actuels.
Marian Eabrasu est professeur d’économie et d’éthique à l’ESC-Troyes. Il a été chercheur à l’International Centre for Economic Research (Turin, Italie) et à l’Institut Ludwig von Mises (Auburn, États-Unis). Il est l’auteur de nombreux articles publiés dans des revues à comité de lecture comme La Revue Française de Science Politique, Quarterly Journal of Austrian Economics, Business and Society, etc. Son dernier article publié en 2012 dans Raisons Politiques s’intitule «Les états de la définition wébérienne de l’État».