Les effets des aides sur la production des biocarburants
Texte d’opinion publié le 20 février 2013 sur 24hGold.
Les deux billets précédents ont présenté les conséquences de l’augmentation de la production de biocarburants et ont montré que cette tendance (et implicitement ses conséquences) est essentiellement due aux aides que cette filière a reçu au cours des trois dernières décennies. Dans ce billet, je propose d’insister sur leurs effets.
Il convient d’emblée de noter que le fait même de mettre en place ces politiques d’incitations indique que la production de biocarburant n’était pas rentable et que, très probablement, elle n’aurait pas été aussi importante en l’absence de ces aides. Pour mieux comprendre leurs effets, il faut ensuite analyser distinctement les différents types d’incitations à la filière en question.
D’une part, le soutien à cette filière se traduit souvent par des avantages fiscaux. Par exemple, jusqu’à l’année dernière, le gouvernement des États-Unis offrait aux compagnies pétrolières 0,45$ de réduction d’impôt pour chaque galon d’éthanol mélangé à l’essence. Sans doute une telle mesure stimule-t-elle la production d’éthanol, mais elle ne se fait pas au détriment du contribuable car il s’agit d’une réduction d’impôt et non pas d’un nouvel impôt.
Certes, dans la mesure où les produits concurrents, les carburants fossiles, sont lourdement taxés, les biocarburants obtiennent implicitement un avantage comparatif proportionnel. Ainsi, la promotion des biocarburants se fait à travers la dissuasion de la production de carburants fossiles. De ce point de vue, il est important de noter que même lorsque la réduction d’impôt à été annulée l’année dernière aux États-Unis, l’industrie américaine d’éthanol a tout de même conservé son avantage comparatif dans la mesure où les producteurs d’essence doivent payer des droits d’accise de 0,18$ (pour le galon d’essence) et 0,24$ (pour le galon de diesel).
D’autre part, même si plus récemment les États-Unis et l’Union européenne ont annulé la plupart des subventions directes, ils continuent à garantir le marché des biocarburants. Ainsi, aux États-Unis, le Renewable Fuel Standards Act continue d’exiger 7,5 milliard de galons de biocarburant en 2012 et envisage d’accroitre ce volume à plus de 20 milliard d’ici 2022.
Dans l’Union européenne, la directive 2003/17/CE établissait un maximum d’incorporation dans les carburants fossiles de 5 % en volume pour le biodiesel et le bioéthanol et de 7 % pour le biodiesel et 10 % pour l’éthanol à partir de 2011. Sur ce plan, le gouvernement français est allé de l’avant et dès 2009 a souhaité augmenter la proportion de 5% d’éthanol déjà contenue dans le SP95 et le SP98 en introduisant le carburant E10, qui contient 10% d’éthanol et qui avait donc été présenté comme un carburant plus écologique que les précédents.
Compte tenu de l’obligation d’incorporer de l’éthanol à l’essence, on comprend mieux comment le coût de ce carburant a été répercuté dans le prix final payé par les consommateurs qui, en l’achetant, payent plus cher pour faire moins de kilomètres, puisque le pouvoir calorifique de l’éthanol est inférieur à celui de l’essence. Le rapport publié en 2012 par la Cour des comptes estimait le coût des biocarburants pour les consommateurs français (en plus donc des prix payés sous la forme de taxes) à environ 3 milliards d’euros sur la période 2005-2010.
Ainsi, au-delà des prises de positions officielles en Europe et aux États-Unis, qui semblent vouloir renverser la tendance des dernières décennies (alors que le Brésil envisage l’augmentation de la production en mettant sur la table une nouvelle enveloppe de 38 milliards), le biocarburant a encore de beaux jours devant lui, tant que son marché sera garanti dans nombreux pays.
Ceci souligne une fois de plus l’hypocrisie des politiques environnementales et nous enseigne que les effets indésirables des subventions ne disparaissent pas forcement au moment où les subventions directes s’arrêtent. D’autant plus que certains des producteurs les plus anciens, ont déjà pu amortir leurs investissements et sont donc à même de survivre sans l’aide de l’État. Selon Matthew A. Hartwig, le porte-parole du lobby Renewable Fuels Association, la production d’éthanol est devenue mature et les crédits d’impôts ne sont plus nécessaires. Dans le même article, il souligne d’ailleurs que l’annulation l’année dernière des crédits d’impôts aux États-Unis n’a pas fait l’objet d’opposition de la part des producteurs.
Il n’y a donc pas de raison de continuer à soutenir une industrie qui non seulement n’en a plus besoin mais qui en plus n’engendre même pas les conséquences environnementales attendues. Le vrai frein consisterait à mettre fin aux obligations légales de consommer des biocarburants.
Marian Eabrasu est professeur d’économie et d’éthique à l’ESC-Troyes. Il a été chercheur à l’International Centre for Economic Research (Turin, Italie) et à l’Institut Ludwig von Mises (Auburn, États-Unis). Il est l’auteur de nombreux articles publiés dans des revues à comité de lecture comme La Revue Française de Science Politique, Quarterly Journal of Austrian Economics, Business and Society, etc.