Que serait une social-démocratie à la française?
Texte d’opinion publié le 21 février 2014 dans le cadre d’un débat sur le projet social-démocrate du président Hollande organisé par le journal Le Monde.
Le président François Hollande a multiplié au cours des derniers mois des annonces indiquant qu’il aurait changé de cap politique et miserait désormais sur la capacité des entreprises à relancer la croissance et réduire le chômage. Du rapport Gallois au choc de simplification, en passant par les assises de la fiscalité, le pacte de responsabilité et le Conseil de l’attractivité, tout semble réuni pour confirmer que le président aspirerait à changer d’orientation politique. Il serait en passe de reconnaître aux acteurs de la société civile – entreprises, associations, etc. – un rôle plus actif pour relancer la croissance. Cependant la surenchère de déclarations, d’initiatives ou de projets entrants en contradiction avec l’orientation affichée par le président, montre clairement que le projet social-démocrate reste une esquisse.
Quand il s’agit de parler de l’attractivité française, le président répond par des mesures techniques comme la fusion l’Agence française des investissements internationaux (AFII) et d’UbiFrance, la réduction des délais d’obtention de visas à 48h ou la mise en place d’aides à l’implantation de start-ups étrangères. Quand il est question du pacte de responsabilité, le président propose un accord qui va sans doute dans la bonne direction, mais l’actualité montre que ce n’est pas si simple.
Dans un pays extrêmement socialisé, les pouvoirs publics ne peuvent pas se contenter de promesses ou de symboles. Il leur faut faire la démonstration qu’ils sont réellement capables de réduire les contraintes, de rendre l’environnement économique plus lisible et de s’engager sur la durée pour redonner confiance aux acteurs économiques.
Or au-delà des discours, tout continue comme avant. Une proposition de loi vise à contraindre tout groupe de plus de 1 000 personnes souhaitant fermer un site à rechercher un repreneur trois mois avant sous peine de pénalités. Dans le même temps les initiatives en faveur d’une fiscalité comportementale prennent de plus en plus d’ampleur. Après la taxe soda et l’augmentation des taxes sur le tabac et l’alcool, des rapports suggèrent une fiscalité encore plus lourde et complexe sur de nombreux produits. Tout cela brouille les messages lancés par le président, plus personne ne sachant si l’on va réellement vers un allègement des contraintes pesant sur l’économie française.
Ainsi, en dépit des intentions affichées, on est obligé de constater que l’orientation sociale-démocrate manque de cohérence.
Plus grave, un tel changement de fond ne peut être mené à bien sans un travail méthodique de pédagogie. L’enjeu est de convaincre, une fois pour toutes, que l’économie n’est pas l’ennemie du social et que les pouvoirs publics ne doivent plus tout faire. Quand on fait fi de ces recettes, on n’est plus en mesure de créer la richesse et le bien-être que nous appelons tous de nos vœux, d’où les problèmes que nous rencontrons aujourd’hui.
À cet égard, l’exemple des réformes canadiennes des années 1990 est extrêmement instructif. Dans ce pays l’émergence d’un consensus autour des changements à opérer a permis de retrouver une croissance supérieure à l’ensemble de l’OCDE. Cette capacité à se réformer a probablement contribué à faire des canadiens un des peuples les plus heureux du monde.
L’enjeu en France est de permettre à l’activité économique de se développer à un rythme plus élevé pour retrouver une croissance significative, à l’image du Canada. Cela suppose évidemment de cesser de matraquer les acteurs économiques et donc de réduire les dépenses publiques qui dépassent 56% du produit intérieur brut en France depuis 2009.
Or l’expérience canadienne montre qu’on ne peut pas baisser durablement les dépenses sans inscrire cette évolution dans un projet de société largement accepté. Sans un consensus fort, il n’est pas possible de mener des réformes profondes. De fait, il va nous falloir repenser l’importance relative de l’ensemble des programmes publics afin de décider, comme au Canada, ce qui doit rester dans la sphère publique ou doit, au contraire, être confié aux initiatives privées, marchandes ou associatives.
Au-delà de ce devoir d’inventaire et de pédagogie, le projet social-démocrate français doit permettre de supprimer les obstacles à la création d’emplois. En la matière un énorme travail reste à faire. La rigidité de notre marché du travail – classé en 113ème position sur 144 par le Forum économique mondial – explique en grande partie les déboires de l’économie française et la persistance d’un chômage anormalement élevé. L’assouplissement des règles à tous les niveaux (durée légale du travail, salaire minimum, assurance chômage, barrières à l’embauche…) est une condition nécessaire à toute réforme de fond. C’est la seule méthode pour retrouver le plein emploi qui, bien plus que tous les filets de sécurité, constitue la vraie protection sociale.
Cet assouplissement du marché du travail est stratégique, car il conditionne toutes les autres réformes. On ne pourra pas redéfinir ce qui au incombe au public et au privé si ce dernier, tétanisé par les contraintes, se refuse à embaucher et à reprendre sa place.
Aujourd’hui, François Hollande se cherche une vision et hésite sur les moyens. Ce n’est qu’en tranchant de façon ferme et cohérente qu’il pourra incarner un virage social-libéral susceptible d’améliorer durablement la situation des français.
Cécile Philippe est directrice générale de l’Institut économique Molinari.