L’erreur significative de la négociation incongrue
Texte d’opinion publié dans l’édition de février de l’Agefi magazine.
Le président François Hollande a promis un pacte de responsabilité entre l’État et les entreprises. Ces dernières s’engagent à embaucher si les premiers acceptent de baisser leurs charges et les contraintes qui pèsent sur elles. En échange d’une baisse de 30 milliards de charges sociales, les entreprises pourraient créer jusqu’à 1 million de nouveaux emplois.
Évidemment, ce pacte a fait l’objet de nombreux commentaires, à commencer par le virage social libéral de François Hollande, en passant par le financement de ces 30 milliards de baisses de charges, ou par des contreparties qui ne seraient qu’un symbole pour faire passer la pilule de ce « cadeau » aux entreprises auprès de la gauche.
En dépit des nombreuses critiques qu’on peut faire à ce pacte – et la première est d’ailleurs de se demander s’il verra véritablement le jour et sous quelle forme –, il indique néanmoins une évolution dans le discours politique, probablement dicté par un certain pragmatisme face à une économie qui n’obéit pas aux doigts et à l’oeil de l’interventionnisme étatique français.
Car si le président Hollande se résout à proposer ce « pacte » avec les entreprises, c’est simplement qu’ayant échoué dans sa promesse d’inversion de la courbe du chômage fin 2013, il réalise que les entreprises sont sans doute le mieux à même de résoudre le problème numéro 1 des Français, à savoir le chômage de masse.
Or, le constat est sans équivoque, les entreprises en France sont asphyxiées par des charges trop lourdes et des réglementations trop nombreuses qui plombent leurs calculs économiques de profits et de pertes sur le long terme. Il semble donc assez logique de penser qu’en baissant les unes et les autres, les entreprises décideront d’embaucher de nouveau.
Ceci serait vrai si la promesse était plausible et que l’État était capable d’apporter ces garanties qu’il exige des entreprises. Car le président propose certes des baisses de charges mais celles-ci seront largement insuffisantes si elles ne sont pas accompagnées d’un réel choc de simplification, notamment dans l’embauche. En l’absence d’un assouplissement réel en la matière, peu nombreuses seront les entreprises suffisamment confiantes pour se lier de façon presque permanente à des employés quand l’avenir reste très incertain.
Celui-ci l’est par nature mais les pouvoirs publics en créant une grande instabilité juridique, rendent les calculs économiques futurs plus incertains encore. Comme l’écrit Cédric Parren dans un ouvrage tout juste publié aux Belles-Lettre (Le silence de la loi, 2014), l’inflation normative en France n’a sans doute pas beaucoup d’égal. « À ce jour, la législation française aligne plus de onze millions de mots, en augmentation de sept pour cent par an. Le Journal officiel s’étale sur plus de vingt-trois mille pages annuelles. Les Français vivent sous l’empire de onze mille lois – dont certaines dépassent les deux cents pages – et de cent trente mille décrets ». Il ajoute, ce qui est crucial pour les entrepreneurs, « le code du travail comptait quatorze pages en 1911, contre deux mille cinq cents en 2013. »
Pire, plus de dix pour cent des articles des codes changent chaque année au détriment de toute sécurité juridique. Comment dans ce cas espérer que les entreprises seront enclines à prendre des risques dans un environnement qui les multiplie et ne garantit in fine aucune sécurité.
Il est donc à craindre que ce pacte ne résulte en une situation identique à celle qui a prévalu lors de la baisse de TVA (de 19,6% à 5,5%) dans la restauration. Faute de visibilité, la baisse de la TVA promulguée n’a pas produit le résultat voulu. Les restaurateurs n’ont pas baissé leur prix de façon significative, ni embauché comme ils l’avaient promis.
Pouvait-on le leur reprocher? Sans doute pas dans la mesure où l’accord n’était pas vraiment équitable. Les pouvoirs publics ne semblent pas prendre la mesure des enjeux. Dans un pays extrêmement socialisé, les contreparties ne peuvent plus venir des entrepreneurs – ils ont donné –, mais des pouvoirs publics qui vont devoir faire la démonstration qu’ils sont capables de simplifier les choses, de rendre l’environnement économique plus sûr, de réformer en profondeur le marché du travail et de s’engager sur la durée.
C’est en prouvant sa capacité à provoquer ce choc de simplification et en maintenant le cap sur la durée qu’il pourra convaincre les entrepreneurs de mettre leur capital, leur énergie, leurs idées et leur responsabilité au service des autres. On peut demander à des entrepreneurs d’être des surhommes ou des héros (c’est presque dans leur nature), on ne peut espérer qu’ils soient des martyrs.
Par conséquent, le pacte de responsabilité ne devrait pas être une négociation mais un engagement de l’État de mettre en route les réformes nécessaires pour créer un environnement propice à l’investissement et la prise de risque responsable. Créer de la valeur, des richesses et des emplois est dans l’ADN de tout entrepreneur. Encore faut-il qu’ils aient de bonnes raisons de penser que cela vaut le coup.
Cécile Philippe est directrice générale de l’Institut économique Molinari.