Génération E pour entreprendre – Un nouveau modèle de croissance
Interview publiée dans l’édition d’octobre 2013 de Diccit, la newsletter de la Chambre de Commerce et d’Industrie de Toulouse.
Pour son 3e Forum économique de Toulouse, la CCI de Toulouse a choisi le thème « Génération E pour Entreprendre ». En amont de ce grand rendez-vous
de la rentrée, nous avons rencontré une dirigeante d’entreprise et une économiste, Véronique Morali et Cécile Philippe, pour évoquer avec elles l’évolution de l’esprit d’entreprise et des entrepreneurs.
Véronique Morali est à la tête de Fimalac Développement, la branche des
investissements diversifiés de Fimalac. Elle est aussi la créatrice du groupe TF Co et du site web Terrafemina, et la présidente de Force Femmes et du Women’s Forum for the economy and society.
Cécile Philippe dirige l’Institut économique Molinari qu’elle a créé en 2003 à Bruxelles. Docteur en sciences économiques, titulaire d’un Desup en gestion
des entreprises dans les pays en développement, elle est notamment l’auteur
de « C’est trop tard pour la Terre ».
Qu’est-ce qui vous a amené à vous lancer dans l’entrepreneuriat ?
Véronique Morali. En rejoignant Marc Ladreit de
La Charrière au sein de Fimalac, j’ai eu tout de
suite, à ses côtés, une carrière entrepreneuriale.
Mais j’accompagnais ses choix, ses prises de risque
à lui. Au bout de vingt ans, j’ai eu envie de me
tester moi-même, sur des thèmes qui me tenaient
à coeur. Et c’était le bon moment pour créer aussi
bien Terrafemina.com que TF Co. Créer sa boîte et
son équipe, se confronter au marché, c’est vraiment
très enrichissant. On est créatif, on a un rôle
utile, on est en situation de se dépasser soi-même.
Cécile Philippe. Après mon doctorat ès sciences
économiques à Paris-Dauphine et un Desup en
gestion des entreprises dans les pays en développement,
c’est au sein d’un think tank américain que
j’ai terminé ma thèse sur les théories de l’information
et l’émergence d’un marché de l’information
sur Internet. Ce think tank fêtait ses 20 ans.
C’est dire à quel point les think tank constituent,
outre-Atlantique, une industrie très développée,
très diversifiée. J’ai donc pensé que ce serait génial
de faire la même chose en Europe, même si
le contexte est moins porteur. J’ai fondé l’Institut
économique Molinari (« Des idées pour un avenir
prospère ») il y a tout juste dix ans à Bruxelles.
Avec le souci d’être indépendante, de prendre moi-même
les décisions, de mener les affaires à mon
rythme et avec ma vision.
Quelles sont les qualités requises pour créer et diriger une entreprise ?
Véronique Morali. Je pense qu’il faut notamment
être capable d’anticiper les métiers et les marchés
du futur, être très agile, savoir saisir les opportunités
de façon très réactive et savoir développer
des synergies… Il faut aussi être très lucide sur
ce que l’on est. Je suis la cofondatrice de Forces
Femmes. C’est une association qui accompagne
des femmes de plus de 45 ans vers le retour à
l’emploi, voire dans la création d’entreprise. Mais
la création d’entreprise n’est pas à la portée de
toutes, ni de tous. Avoir la bonne idée au bon moment
ne suffit pas. Être un bon manager n’est pas
nécessairement être un bon entrepreneur. Il faut
de l’audace, avoir le goût du risque, mais il faut
aussi être capable de beaucoup travailler, de surmonter
les moments de profond découragement,
faire preuve de beaucoup de ténacité.
Cécile Philippe. De la ténacité, et même de
l’acharnement ! C’est vraiment la première qualité
à avoir pour créer et entreprendre. Il faut aussi
avoir un certain degré d’inconscience, et croire
fortement à son projet : on est face à l’incertitude,
on ne sait pas comment va répondre le marché,
on ne sait pas ce qui va se passer – et heureusement
!, car si on imaginait à l’avance tous les
obstacles que l’on aura à franchir, on hésiterait
sérieusement à se lancer… Il faut savoir travailler
sans compter ses heures.
Dans le management de l’entreprise, observez-vous des évolutions sensibles – ou en appelez-vous de vos voeux ?
Véronique Morali. C’est un sujet qui me passionne.
J’ai d’ailleurs créé une agence de conseil
et d’accompagnement des entreprises et des
organismes publics, TF Co, avec des services sur mesure
pour la communication, les ressources
humaines, la gestion de projets innovants et l’accompagnement
du changement. Il me semble que
les lignes hiérarchiques bougent énormément
sous l’effet de la digitalisation des organisations.
Les réseaux sociaux d’entreprises permettent de
donner la parole à l’encadrement intermédiaire,
d’avoir une gestion plus participative, plus collaborative.
C’est essentiel aussi pour les groupes
français qui ont des équipes basées à l’étranger :
ces équipes ne veulent plus être exclues des processus
de décision. Je crois qu’il faut vraiment
casser les cadres hiérarchiques, créer du transverse.
Il y a encore beaucoup trop de rigidité
dans nos structures.
Cécile Philippe. Nos entreprises souffrent surtout
de la rigidité du marché du travail. Des salariés
restent en place, sans motivation, sans plaisir,
parce qu’il leur serait trop difficile de retrouver
du travail ailleurs à cause de cette rigidité du
marché du travail. Nous souffrons autant du niveau
des charges sociales que de la difficulté de
licencier. Les incertitudes sur le coût et la durée
d’une procédure de licenciement entraînent une
véritable paralysie des embauches. C’est l’un des
aspects les plus compliqués de la société française
et de l’Europe du Sud. Quand on parviendra à un
marché du travail moins rigide, on pourra sortir
de la crise. Et on aura une ambiance totalement
différente dans les entreprises. Notre marché du
travail est en panne depuis 30 ans. Mais il y a
trop longtemps qu’on n’arrive pas à le réformer ;
nous sommes arrivés à l’heure de vérité ; les gens
se crispent mais comprennent bien qu’on ne peut
continuer ainsi, qu’il faut envisager les choses sous
un autre angle. Dans le management des grandes
entreprises, on a aussi un vrai problème avec le
poids de l’État et des très grandes écoles dont les promotions sont nommées au plus haut niveau sans
avoir à démontrer la moindre compétence managériale.
C’est une source de rigidité, de formatage, de
manque de diversité. Aux États-Unis, ce sont plutôt
les très bons managers qui sont appelés à renforcer
les compétences de l’État.
La France est-elle aujourd’hui handicapée par un État trop présent et trop coûteux ?
Cécile Philippe. Que l’État se recentre sur ce qu’il doit
faire et qu’il ne s’étale pas sur ce qu’il ne peut pas
faire correctement. Il faut prendre à bras le corps
une réforme globale de l’État et une baisse des dépenses
publiques, une réduction de notre fardeau
fiscal et social record. Toujours plus d’impôts, c’est
une politique vouée à l’échec. L’austérité dans les
dépenses publiques, ça marche, comme l’ont prouvé
la Lituanie et le Canada. Il faut aussi revoir le rôle
des corps intermédiaires, des syndicats qui peuvent
bloquer systématiquement toute négociation car ils
ne subissent pas le coût des grèves ni des suppressions
d’emplois. Enfin, il faut aussi évoquer le principe
de précaution, inscrit dans notre Constitution,
et dont on ne cesse d’étendre les domaines d’application.
C’est une énorme source d’incertitude,
un risque croissant pour les entreprises qui veulent
innover, une porte ouverte à tous les groupes de
lobbying, alors que les Français sont extrêmement
créatifs. Il faut libérer cette créativité ! Nous
sommes dans une période exceptionnelle avec les
innovations du numérique, des nanotechnologies,
du secteur de la santé… Il y a quantité de services,
de marchés à développer, alors levons les freins,
dégageons tous les obstacles réglementaires
Véronique Morali. Même si je ne suis restée que
quatre ans à l’Inspection générale des finances, j’ai
toujours conservé un certain tropisme pour l’intérêt
général. J’ai participé par exemple à la commission
Grand Emprunt présidée par Michel Rocard et
Alain Juppé. Il ne faut surtout pas cliver les deux
mondes du privé et du public. Mais c’est vrai qu’il
y a beaucoup d’État en France. Un peu moins, ce
serait mieux. On est à l’extrême limite en matière
de charges et d’impôts. Il ne faut pas brider les
énergies, il ne faut pas casser la croissance, il faut
permettre aux entreprises de rester dynamiques :
ce sont elles qui créent l’emploi et la richesse.
Il ne faut pas décourager les entrepreneurs, les
investisseurs. Aujourd’hui, investir en France est
devenu un acte de foi.