Taux de dépôt négatif : une nouvelle plaie pour l’Europe
Texte d’opinion de Keith Weiner publié le 25 juin 2014 sur 24hGold.
Le jeudi 5 juin, la Banque centrale européenne annonçait la compression de trois de ses taux d’intérêt de référence. Rien de bien surprenant: dès le début de la crise financière mondiale, les banques centrales nous ont habitués à ces réactions désespérées. Les taux d’intérêt baissent depuis des décennies, et cette tendance se poursuit. Ce qui est plus singulier, et même sans précédent pour une grande banque centrale, c’est que le taux de dépôt vient de passer en dessous de zéro.
Un taux de dépôt fixé à un niveau négatif signifie que dès qu’une banque détient des liquidités inutilisées sur son compte auprès de la banque centrale, elle doit verser un pourcentage à cette dernière. Cela revient, pour la banque centrale, à dire aux banques que le fait d’avoir des liquidités constitue un privilège, pour lequel il est normal de devoir payer. Si la chose vous semble complètement absurde, c’est qu’elle l’est. Tout d’abord, analysons la séquence imaginée par la BCE, puis tirons-en les conséquences logiques et probables.
Selon les déclarations du président de la BCE, Mario Draghi : « Ces mesures permettront un retour à des taux d’inflation plus proches de 2%. » La banque centrale s’émeut fréquemment du risque de déflation, terme par lequel elle désigne la baisse des prix. La BCE espère pouvoir éviter ce sort, jugé pire que la mort, en inondant l’économie d’argent frais. Ce qu’elle souhaite, c’est la hausse continue des prix, la baisse continue du pouvoir d’achat, et l’érosion continue de l’épargne.
Avec la création monétaire, les prix augmentent. Elle s’avère donc particulièrement douloureuse pour ceux qui peinent déjà à se nourrir et à se loger. Cette augmentation voulue du coût de la vie n’est bénéfique à personne, mais c’est aux plus pauvres qu’elle nuit le plus. Seul un cœur de banquier central peut battre pour l’inflation.
En diminuant le taux d’intérêt facturé aux banques souhaitant lui emprunter de l’argent, la BCE les incite à prêter à leur tour plus généreusement. En pénalisant ces mêmes banques si elles souhaitent conserver des bas-de-laine, la BCE les dissuade de ne pas prêter, c’est-à-dire de se comporter prudemment. Ces montants réinjectés dans l’économie doivent alors conduire à une hausse des prix et à un affaiblissement de l’euro, supposés favorables à l’économie.
Cette séquence ne se réalisera pas. Pour comprendre pourquoi, prenons l’exemple de Deutsche Bank.
Cette banque détient environ seize milliards d’euros de liquidités. Supposons qu’elle en prête un à Volkswagen pour l’aider à financer l’acquisition de Scania. Volkswagen verse ce milliard aux actionnaires de Scania, mais ceux-ci le déposent immédiatement sur des comptes bancaires, y compris auprès de Deutsche Bank. À moins que celle-ci ne subisse une perte de part de marché, la même quantité d’argent se retrouvera à la case départ. Deutsche Bank la récupère et la place de nouveau à la BCE. Elle ne peut échapper au paiement du taux de dépôt négatif.
Les liquidités ne disparaissent jamais du système bancaire. Le circuit est clos sur lui-même. L’argent peut être transféré d’un acteur à l’autre, mais il demeure à chaque instant sous la garde d’une banque. L’activité de prêt ne dispense pas de déposer des liquidités auprès de la BCE (ou, aux États-Unis, de la Réserve Fédérale).
Il existe, pour les banques, un moyen de réduire le montant de leurs dépôts à la BCE : acheter des obligations d’État et les bons de la BCE. La BCE, en tant que banque centrale, n’a pas l’obligation de déposer ses euros auprès d’une banque commerciale. Si ces excédents de liquidité deviennent un mistigri que les banques commerciales ne veulent plus détenir, elles peuvent s’en défausser en les troquant contre des obligations d’État.
Cette nouvelle politique de la BCE ne se traduira pas par une augmentation significative des prêts aux entreprises ou des prix à la consommation, mais elle entraînera en revanche une nouvelle baisse des taux d’intérêt attachés aux obligations d’État. Avant cette annonce, le rendement de l’obligation à dix ans émise par le gouvernement irlandais était inférieur à celui des États-Unis. L’obligation de l’Espagne n’est pas loin derrière. Avec cette nouvelle politique de la BCE, les taux vont encore diminuer, permettant à des États européens insolvables d’emprunter encore plus.
Parce qu’elle fait face à d’importants défis politiques, la BCE ne peut se permettre d’acheter des milliers de milliards en obligations d’État, comme le fait depuis des années la Réserve fédérale américaine. Mais ce nouveau dispositif mènera, par un moyen détourné, au même résultat.
Keith Weiner est un entrepreneur dans les nouvelles technologies et président du Gold Standard Institute.