Faut-il davantage réguler les agences de notation ?
Article publié exclusivement sur le site de l’Institut économique Molinari.
Le ciel s’assombrit pour les agences de notation. Accusées d’être, au moins partiellement, responsables de la crise des subprimes, elles sont, depuis quelques mois, l’objet de toutes les critiques. Parmi celles-ci, l’une est récurrente: les agences seraient dépendantes des entreprises qu’elles notent. Un conflit d’intérêts existerait dès lors, qui compromettrait la sincérité de toute notation.
Le ciel s’assombrit pour les agences de notation. Accusées d’être, au moins partiellement, responsables de la crise des subprimes, elles sont, depuis quelques mois, l’objet de toutes les critiques. Parmi celles-ci, l’une est récurrente : les agences seraient dépendantes des entreprises qu’elles notent. Un conflit d’intérêts existerait dès lors, qui compromettrait la sincérité de toute notation. Toutes les autorités de régulation boursière, qu’il s’agisse de l’AMF en France, de la SEC aux États-Unis, ou encore de la Commission européenne, ont haussé le ton pour appeler à la mise en place de nouvelles normes ou à la refonte de certains « Codes de conduite ». S’il existe effectivement des conflits d’intérêts au sein des agences de notation, des réglementations supplémentaires ne sont pas forcément une bonne solution. Ce serait oublier que les conflits d’intérêts actuels ont eux-mêmes été créés par des réglementations antérieures.
Peu connues du grand public, les agences de notation jouent un rôle essentiel sur les marchés financiers. En appréciant le risque de solvabilité financière de différents acteurs (entreprises, États) ou opérations (emprunt, …), elles donnent aux investisseurs des informations sur le risque encouru lors de l’achat d’un actif, notamment lorsqu’il s’agit d’obligations. L’influence des trois plus grosses agences (Moody’s, Fitch Ratings, Standard & Poor’s) est grande, et tout changement dans la note d’une entreprise ou d’un actif a des répercussions immédiates sur le cours de cet actif en bourse.
Dans la crise des subprimes, les agences de notation sont accusées d’avoir trop bien noté des produits qui étaient en réalité très risqués, car contenant des créances hypothécaires dont la probabilité de défaut de paiement est potentiellement élevée. Un tel comportement serait notamment la conséquence des conflits d’intérêts inhérents à l’activité des agences.
Le conflit d’intérêts le plus important vient du fait que c’est l’entreprise notée – et non l’investisseur qui bénéficie des conseils – qui finance l’agence de notation. Celle-ci aurait donc intérêt à bien noter les entreprises et leurs produits dont dépend son propre financement.
Un petit retour en arrière nous montre que ces conflits d’intérêts sont en fait le résultat direct de réglementations antérieures auxquelles ont été soumises les agences de notation. Ainsi, ce ne serait donc pas l’appât du gain qui serait à blâmer, mais bien les normes imposées par le passé.
Historiquement, les agences de notation étaient financées par les investisseurs à qui elles vendaient des conseils et des notes au sein de publications spécialisées. Mais après la faillite de la compagnie de chemin de fer Penn Central en 1970, la Securities and Exchange Commission, l’autorité de régulation boursière américaine, a établi de nouvelles règles sur la composition des portefeuilles de certains gros investisseurs (fonds de pensions, certaines banques). Ceux-ci ne pouvaient plus posséder d’actifs trop risqués, c’est-à-dire ayant des notes faibles, à moins qu’ils gardent en réserve beaucoup plus de capital. L’État américain s’appuie donc sur les jugements émis par les agences de notation pour déterminer les actifs que ces gros investisseurs peuvent détenir.
Ceci a plusieurs conséquences. Tout d’abord, la demande pour les notations augmente très fortement, car tout émetteur qui veut vendre ses obligations ou ses produits financiers aux gros acheteurs réglementés doit auparavant avoir été noté. Dans le même temps, la SEC impose des critères très stricts pour que les agences de notation puissent être autorisées à émettre des avis sur la solvabilité des entreprises ou la solidité des produits financiers. Elle crée ainsi une barrière à l’entrée sur le marché de la notation, qui profite essentiellement aux trois grandes agences déjà citées. En réduisant la possibilité pour de nouveaux entrants de venir concurrencer les agences en place, la nouvelle barrière à l’entrée réduit l’incitation de celles-ci à fournir des conseils toujours plus pertinents aux investisseurs.
Les notes émises par les agences deviennent en quelque sorte des « biens publics », car l’État américain s’appuie dessus pour appliquer la nouvelle réglementation. Mais ces nouvelles normes ont un coût pour les agences.
C’est la rencontre de ces différentes tendances qui entraine un changement de business model dans les années 1970. Tout d’abord, une hausse artificielle de la demande de notation créée par la nouvelle réglementation. Ensuite, une hausse du coût de production des notes. Enfin, et c’est là le facteur le plus important, une réduction de l’incitation des agences à se tenir au plus près des besoins des investisseurs, du fait des nouvelles barrières à l’entrée : les conflits d’intérêts seront dès lors plus facilement acceptés par ceux-ci.
Dans ce nouvel environnement législatif, les agences ont changé de business model pour être plus profitables. Elles continuent à vendre certains conseils aux investisseurs, mais font désormais payer la notation aux entreprises notées.
Les conflits d’intérêts aujourd’hui dénoncés par les régulateurs boursiers sont donc nés dès lors que l’on a cessé de considérer la notation comme une activité de conseil purement privée entre une agence et un investisseur, pour en faire une sorte de « bien public » auquel de nombreux acteurs doivent se référer quand ils investissent.
Le commissaire européen au marché intérieur, Charles McCreevy, a annoncé récemment la création d’un organe européen de régulation des agences de notation. Il est permis de douter de l’efficacité de cette nouvelle autorité. La vraie nouveauté consisterait à reconsidérer le métier des agences de notation et supprimant les barrières à l’entrée sur ce marché. Celles-ci devraient se limiter à la vente privée de conseils à des investisseurs, avec toutes les possibilités d’erreurs que cela implique. Il conviendrait dès lors de cesser de donner aux agences un rôle assimilable à une fonction de service public.
Guillaume Vuillemey, chercheur, Institut économique Molinari