France – L’impossible financement
Interview publiée dans l’édition d’août 2014 de l’Agefi Magazine.
Économiste expert sur les questions de retraites, Nicolas Marques est chercheur associé pour l’Institut économique Molinari. Pour lui, les récentes acquisitions de groupes industriels français par des sociétés étrangères sont en grande partie dues au système de retraites par répartition qui empêche l’épargne en actions. Mais aussi à la fiscalité et la réglementation étouffantes que connaît actuellement le pays.
Au printemps, le ministre français de l’Économie, Arnaud Montebourg, a appelé de ses voeux une épargne qui puisse défendre l’industrie française. Qu’en pensez-vous?
Arnaud Montebourg n’invente rien. Il se contente de revisiter l’un des projets esquissé par Jean Jaurès. En oubliant toutefois qu’il serait bien difficile à mettre en place, faute d’épargne longue à investir dans les entreprises. Jaurès rêvait d’une capitalisation qui permette aux travailleurs de contrôler le capital. Au lieu de s’attaquer au capitalisme, accusé de s’accaparer les profits, Jaurès proposait d’utiliser la capitalisation pour rééquilibrer la situation. Loin d’une vision binaire de la lutte des classes, Jaurès et ses disciples défendaient une capitalisation qui rendrait la classe ouvrière «à la fois capitaliste et salariée», lui permettant de recevoir «tout le produit social qui résulte de la mise en oeuvre de ce capital par le travail ouvrier».
Que doit-on penser de cette prise de position du ministre?
Montebourg s’apparente à ce type de vision, pour coller à l’actualité. Ces derniers mois, la France a vu beaucoup de sociétés qualifiées de «fleurons» être acquises par des groupes étrangers. Le ministre tente simplement de rassurer la population. Mais il s’agit plus d’une posture que d’autre chose, car la réalité française est radicalement différente de celle d’il y un siècle. Déjà, la France n’a pas assez d’épargne retraite puisque ce pays a fait le choix du système de retraite par répartition. Ensuite, le volume d’épargne en action est insuffisant puisque l’épargne est drainée ailleurs. Enfin, au-delà du manque d’épargne longue domestique, la situation économique du pays manque d’attractivité globale.
Pouvez-vous préciser?
Les fonds solutions d’épargne individuelles ou collectives sont aujourd’hui anecdotiques en France. Même intégrant toute l’épargne pour la retraite on arrive aux alentours de 10% du PIB contre 35% en moyenne dans l’OCDE et 70% en moyenne pondérée. Cette situation est le fruit de l’histoire, avec une inflation qui a ruiné tous les petits épargnants, une mise en place de la répartition durant la seconde Guerre Mondiale et sa généralisation à la libéralisation.
À la faiblesse des fonds privés s’ajoute celle des fonds de réserve publics français. Moins de 2% du PIB pour le Fonds de réserve des retraites (FRR), qu’on vide depuis 2010 pour couvrir les déficits de la sécurité sociale. 2% contre en moyenne à 18,9% du PIB dans la zone OCDE en 2011. La différence est énorme.
Enfin, la situation du pays est inquiétante. Et comment ne le serait-elle pas? 85% des revenus des personnes de plus de 65 ans provient de transferts publics, contre légèrement plus de 60% dans les pays de l’OCDE. Les engagements implicites des régimes par répartition représentent de l’ordre de 3,5 années de PIB.
De même, le volume d’épargne en actions n’est pas suffisamment important. Arnaud Montebourg rêve d’une épargne longue, qui puisse changer la donne, avec investissement en action à long terme mais les réserves des fonds publics (FRR, ERAFP) sont avant tout investis en obligations. Il en va de même des produits gérés par les assurances, et notamment de l’assurance-vie, présenté par le ministre comme un palliatif à l’absence de fonds de pension. Elle est investie à moins de 25% en actions. Ce qui n’est absolument pas comparable avec des fonds de pensions des pays de l’OCDE, investis en moyenne à 40% en actions.
Comment expliquez-vous cette situation?
Depuis le XIXe siècle, l’épargne française, en grande partie, est drainée vers le court terme et la dette publique. La perte de confiance dans le crédit monétaire de la France, suite à la banqueroute des deux-tiers lors de la Révolution, a conduit les pouvoirs publics à organiser le drainage de l’épargne. Au XIXe siècle, les fonds des caisses d’épargne puis des caisses de retraite ont été captées pour le financement de l’État. Dans la seconde moitié du XXe siècle, l’inflation avait simplifié la donne, mais ce circuit «du trésor» a subsisté. Une grande partie de l’épargne est fléchée (financement du logement social, des économies d’énergie…) et l’autre grande partie est investie en dette publiques. Le solde, permettant de financer l’activité économique, est donc limité.
Le manque d’épargne est-il le seul responsable des difficultés actuelles des entreprises françaises?
Évidemment non. Une grande partie des problèmes sont liées à une fiscalité et une règlementation trop contraignantes. Même si l’on observe un biais domestique dans les investissements (les ménages français, comme les anglais ou les américains, investissement avant tout dans des actions ou obligations nationales), il n’est pas sûr qu’une épargne retraite en actions abondante aurait été d’un quelconque secours pour des entreprises comme Alstom.
Les épargnants sont à la recherche de rendements et nombre d’entreprises françaises sont handicapées par la fiscalité, la règlementation et l’instabilité juridique. Elles ne peuvent être performantes dans ce contexte. Certains groupes, très dynamiques, ont réussi à contrebalancer cette situation en s’ouvrant à l’international, voire même en s’y expatriant… Ce mouvement n’est pas récent mais la taxation des salaires à 75% et les mesures prises dans la loi de finances 2013 ont fait déborder le vase. Alstom est une entreprise très dépendante de la commande publique, dans un pays ou l’état des finances publiques pose problème. C’est cela qui explique son endettement et sa volonté d’adosser ses activités «énergie» au groupe américain General Electric.
Propos recueillis par Noël Labelle
Nicolas Marques est chercheur associé à l’Institut économique Molinari et économiste expert sur les questions de retraites.