L’Espagne repart-elle de l’avant ?
Texte d’opinion publié le 3 février 2015 sur 24hGold.
L’Institut de l’Entreprise – think tank patronal – a décidé d’étudier les exemples de redressement budgétaire qui ont été conduits en Europe depuis la crise de 2008. Ces études cherchent, en premier lieu, à dépasser les expériences, constamment citées, de la Suède ou du Canada qui commencent à dater et qui, surtout, ont été conduites dans de tout autres contextes.
La première étude est consacrée à l’Espagne[1]. L’auteur – Adrienne Brotons – dresse d’abord un portrait du pays avant la crise. Les dépenses publiques y étaient relativement faibles : 39,1 % du PIB en 2007, à comparer aux 45,8 % en moyenne pour l’Europe des 15[2], ou aux 52,7 % de la France. Il est à noter également que la dépense publique espagnole avant la crise augmentait moins rapidement que le PIB. Cette dépense publique faible s’expliquait principalement par des dépenses sociales moindres que dans les autres pays européens : 21 % du PIB espagnol en 2007, contre par exemple 31 % en France.
L’Espagne d’avant la crise, c’était aussi une forte croissance (3,8 % en moyenne annuelle), « accompagnée d’un endettement des ménages et des entreprises, provoquant le gonflement d’une bulle immobilière et l’aggravation du déficit extérieur. »
La crise mondiale de 2007 a fait éclater la bulle immobilière, et entraîné « la faillite du principal moteur de l’économie et de l’emploi » (30 % de l’emploi total). Le taux de chômage connaît alors « une explosion sans précédent » : entre 2007 et 2013, il augmente de 18 points, passant de 8,3 % à 26,4 %.
Tout cela entraîne alors l’augmentation des dépenses publiques, notamment celles consacrées au chômage et à la retraite, et, bien sûr, au sauvetage des banques. Parallèlement, les recettes fiscales diminuent. C’est ainsi que d’excédentaire en 2007 (de 1,9 % du PIB), le solde public espagnol devient déficitaire (de 11,2 % du PIB) en 2009.
Il faudra attendre la mi-2010 pour que le gouvernement espagnol prenne la mesure de la situation et adopte une politique de réduction des dépenses publiques, assortie d’une augmentation des impôts.
Du côté des impôts et taxes, la TVA, l’impôt sur le revenu, l’impôt sur les sociétés ont été relevés. , Malgré cela, les recettes fiscales de 2012 sont restées inférieures de 18 % à leur niveau de 2008. On constate même qu’avec « les taux nominaux parmi les plus élevés d’Europe, les recettes fiscales espagnoles ne représentaient que 37,4 % du PIB en 2014, contre 46,8 % dans la zone euro », soit 9 points de moins.
Du côté de la réduction des dépenses publiques, les chantiers sont nombreux : baisse des investissements publics, réduction du nombre d’entreprises publiques et fondations (avec un objectif de 20 % de structures en moins), suppression des doublons entre État central et communautés autonomes, rationalisation des structures locales et clarification de leurs compétences (selon le principe « une administration, une compétence »), publication du coût effectif des services municipaux (« afin que le citoyen puisse les comparer et les évaluer »).
Par ailleurs, le gouvernement espagnol s’est attaqué à la masse salariale publique qui, après avoir augmentée de 15% entre 2000 et 2008, a baissé de 5% entre 2010 et 2014. Le système de santé a également été réformé, malgré l’opposition forte d’une partie de la population encouragée par les socialistes et une minorité de gouvernements des régions autonomes.
L’augmentation du chômage n’a pas empêché la mise en œuvre de mesures drastiques de réduction des allocations et d’augmentation des cotisations. Même les dépenses d’éducation ont été diminuées.
Ce régime sec pour les Espagnols a permis « d’enrayer la hausse des dépenses publiques », mais sans pourtant les stabiliser ni encore moins les faire baisser. Ce fût le cas en Grèce (- 4 points), au Royaume-Uni (- 0,6 point), en Allemagne (+ 0,7 point). Cependant, les dépenses publiques ont bien baissé en valeur (c’est-à-dire sans que l’on tienne compte de la variation du PIB) d’environ 5%, alors qu’en France, pour ne prendre qu’un exemple, elles ont augmenté de 10% entre 2009 et 2014. S’agissant de l’Espagne, la réduction importante des dépenses publiques devrait continuer à produire des effets dans les années à venir puisque nombre de réformes sont structurelles.
Insistons sur trois réformes de taille. La première est l’intégration des règles européennes de bonne conduite budgétaire dans sa constitution espagnole. Le déficit structurel est désormais limité ainsi que le ratio d’endettement des administrations centrales, régionales et locales. Il existe aussi désormais un plafond de croissance des dépenses publiques lié à la croissance du PIB.
La deuxième mesure phare est le renforcement du contrôle du gouvernement sur les finances des collectivités locales. Sont notamment visées par cette mesure, les communautés autonomes dont les dépenses avaient tendance à s’emballer ces dernières années. Ce contrôle renforcé des finances locales a également été mis en œuvre en Italie ou en Autriche. L’auteur du rapport souligne, en revanche, que la France est l’un des « rares pays de la zone euro à ne pas imposer de norme d’évolution des dépenses, du déficit ou de la dette à ses entités infra-étatiques. »
La troisième réforme d’importance est celle du marché du travail qui permet, en particulier, aux entreprises d’ajuster plus facilement leurs effectifs à la conjoncture. Une réforme qui a déjà commencé à produire ses effets, puisque « l’Espagne est le pays d’Europe où le taux de chômage a le plus baissé entre 2013 et 2014 » : 315 000 Espagnols sont sortis du chômage. Un chiffre qui devrait faire rêver les Français.
Précisons que cette réforme du marché du travail était inscrite dans le programme du candidat Mariano Rajoy et, qu’une fois élu en décembre 2011, il la mena à bien dans les cent premiers jours de son mandat malgré les centaines de milliers de manifestants dans les rues.
Cela dit, l’Espagne est loin d’être sortie d’affaire sur le front de l’emploi avec un taux de chômage de 24,7 % en octobre 2014. De même, la dette et le déficit publics restent élevés. Sans doute de longues années d’austérité seront encore nécessaires pour redresser la barre.
Mais, pour l’auteur du rapport, « le redressement des finances publiques espagnoles et les réformes de structure menées par les différents gouvernements de ce pays depuis la crise de 2008 sont la parfaite démonstration qu’il n’y a pas de fatalité au déclin. » Une chose dont on est loin d’être convaincu en France.
Patrick Coquart est associé dans un cabinet de conseil en management.
Notes
1. Adrienne Brotons, «Espagne : derrière l’austérité, la reprise», Institut de l’Entreprise, Les Notes de Benchmark, novembre 2014.
2. L’Europe des 15 fait référence à l’Union européenne avant 2004 et son élargissement aux pays d’Europe centrale.