E-cigarette : Lobbying pour un marché de cent milliards d’euros
Texte d’opinion publié le 9 mars 2015 dans l’AGEFI.
Les ventes de cigarettes traditionnelles sont en baisse, mais le vapotage est devenu une pratique de dizaines de millions de personnes dans le monde. Aux États-Unis, les ventes d’e-cigarettes sont passées de 500 millions de dollars en 2012 à 2 milliards en 2014. En France, elles représentent plus de 300 millions d’euros. Ainsi alors que l’on comptait un seul point de vente en 2010 dans l’hexagone, il y en a maintenant plus de 2500. Cette croissance exponentielle a plusieurs conséquences. En particulier, elle a provoqué un débat sur la règlementation de ces nouveaux modes d’administration de la nicotine.
Or tout choix règlementaire favoriserait certains acteurs sur le marché plutôt que d’autres. De ce fait un classement de l’e-cigarette comme médicament (avec autorisation de mise sur le marché) donne un avantage à l’industrie du tabac mais est aussi un bénéfice pour l’industrie pharmaceutique. La convoitise grandit parmi les acteurs du secteur pour obtenir des réglementations qui, tout en semblant promouvoir la protection des consommateurs, leur apporteraient une protection décisive contre de nouveaux entrants. Comme dans toute industrie qui mûrit, le secteur de la cigarette électronique et du tabac a vu se créer, petit à petit, une dynamique de lobbying.
Prenons un exemple aux Etats-Unis. Reynolds American (Vuse) et Altria (MarkTen) font du lobbying auprès de la Food and Drug Administration pour obtenir plus de réglementation, notamment une autorisation de mise sur le marché. Chaque demande coûterait des millions de dollars ce qui limiterait la capacité des petites entreprises à innover pour entrer sur le marché. Il faut savoir que le système VTM (« vapors, tank, mods » en anglais) est ouvert et peut utiliser plusieurs marques différentes d’e-liquides. Les e-cigarettes utilisant le VTM représentent presque 40% du marché. Les e-cigarettes de Reynolds et d’Altria en revanche reposent sur des systèmes fermés qui ne peuvent utiliser que des cartouches spécialement fabriquées pour elles. Reynolds et Altria affirment qu’il faudrait supprimer le VTM car il est potentiellement dangereux pour ses utilisateurs qui pourraient, notamment, utiliser des substances létales comme le cannabis. La vérité est que le VTM est un système en évolution rapide qui à terme pourrait gêner ces deux compagnies. Une autorisation protègerait leur marché.
La concurrence est également rude pour les distributeurs. En France certains détaillants expriment déjà leurs désirs de réglementation pour rendre leur métier moins difficile. Selon Anton Malaj, gérant d’une boutique Point Smoke, « C’est plus dur. Il n’y a aucune législation concrète, n’importe qui peut ouvrir un magasin de cigarette électronique, là est le problème. Les tabacs s’y mettent et dans énormément de magasins vous trouvez la cigarette électronique ». Les bureaux de tabac quant à eux voient une partie du marché leur échapper. Le député Thierry Lazaro avait annoncé en 2013 un projet de loi pour donner aux buralistes le monopole de la distribution des e-cigarettes en France. Pour l’instant cela n’a pas débouché sur de nouvelles lois. Enfin certains, comme le professeur genevois Jean-François Etter, s’étonnent de l’opposition à la e-cigarette car cela revient à faire le jeu de l’industrie du tabac. Serait-ce pour des raisons fiscales ? C’est tout à fait probable si l’on considère que l’État français a perçu un peu plus de 12 milliards d’euros en taxes sur la consommation de tabac en 2013 — chiffre important lorsque l’on considère que sur la durée de vie les dépenses de santé d’un fumeur sont moindres pour la collectivité que celle d’un non-fumeur à cause de la mort prématurée du premier.
Le marché mondial de l’e-cigarette pourrait peser à terme plus de cent milliards d’euros. Toute règlementation qui augmenterait le coût d’entrée sur le marché permettrait aux acteurs actuels de renforcer leur position. Alors ne nous trompons pas de cible. Bien que pas forcément nécessaires, des lois pour la protection des consommateurs qui réglementeraient la bonne qualité et la sécurité des produits seraient favorables au développement du marché. En revanche, toute réglementation qui rendrait l’entrée sur le marché plus difficile (en cherchant à assurer une concurrence plus « loyale » à travers, par exemple, la réglementation du nombre de magasins) aboutirait à créer ou renforcer les rentes des acteurs historiques (notamment les fabricants de tabac) et se ferait au détriment des consommateurs.
Frédéric Sautet est chercheur associé à l’Institut économique Molinari et auteur de «Fumer ou vapoter : la révolution de la consommation du tabac et de la nicotine».