Cigarette électronique: quand les vices ont des vertus
Texte d’opinion publié le 26 mars 2015 dans Le Temps.
La question est posée: la cigarette électronique, l’une des huit innovations perturbatrices de ce siècle selon Goldman Sachs, va-t-elle accentuer les effets néfastes du tabagisme ou au contraire aider à remédier à l’un des plus grands fléaux de notre temps? Le débat fait rage. Les uns – généralement des gouvernements ou des organismes publics tels que l’Organisation mondiale de la santé – affirment que le ratio bénéfices-risques est trop incertain: tant que l’innocuité de l’e-cigarette n’a pas été entièrement établie, il faudrait l’interdire ou limiter sa consommation. Les autres voient au contraire un miracle de la technologie venant enfin à leur secours.
Plus de dix ans après son invention (dans sa forme actuelle), que peut-on dire? Il est manifeste que ce nouveau mode d’absorption de la nicotine est plébiscité par les utilisateurs. L’e-cigarette est devenue une pratique courante de dizaines de millions de personnes dans le monde. Selon une enquête publiée en février 2014, l’utilisation quotidienne concerne près de 3% de la population française. Aux États-Unis, les ventes sont passées de 500 millions de dollars en 2012 à 2 milliards en 2014. Et signe peu trompeur: les multinationales du tabac sont de la partie. Elles veulent éviter le sort de Kodak qui disparut, n’ayant pas pris le tournant du numérique. Plusieurs d’entre elles investissent dans le développement de nouveaux produits ou le rachat de start-up. Contrairement au marché du tabac, resté longtemps en sommeil, l’innovation est forte. En décembre dernier, il est même sorti une e-cigarette à l’extrait de cannabis sans effet psychotique!
Soit, mais si l’e-cigarette crée une dépendance chez le non-fumeur et maintient les fumeurs dans la dépendance nicotinique, ne vaudrait-il pas mieux l’interdire? Elle est clairement addictive car la nicotine, quel que soit son mode d’administration, est addictive. Mais l’e-cigarette fonctionne mieux que les méthodes classiques de prise en charge du tabagisme pour la raison qu’elle provoque un soulagement rapide du manque de nicotine. Ainsi, un nombre croissant d’études montrent son efficacité relative dans la réduction du tabagisme. Bertrand Dautzenberg, tabacologue, affirme même que l’e-cigarette est en train de contribuer au déclin du tabac, surtout chez les jeunes dont le nombre de fumeurs parmi les collégiens et les lycéens a fortement chuté depuis 2011. De plus, il semblerait que l’e-cigarette ne soit pas une passerelle vers le tabac. D’ailleurs, selon 43% des Français, l’e-cigarette serait un moyen de sevrage efficace. Au regard de la pauvreté des résultats des méthodes de sevrage classiques, cette alternative est la bienvenue, même si elle n’est pas parfaite.
Mais qu’en est-il de sa toxicité? Un moyen de sevrage efficace mais toxique ne serait pas une alternative acceptable. Là encore, une lecture dépassionnée des analyses tendrait à montrer que l’e-cigarette est une alternative préférable au tabac. Le liquide qui produit l’aérosol – même s’il contient des impuretés telles que l’anatabine ou la norocinine – est quasiment dépourvu de nitrosamines, qui sont des cancérogènes naturellement présents dans le tabac. Les arômes chauffés posent le plus de questions quant à leur innocuité, car ils contiennent parfois de l’ambrox et du parabène. Mais à l’exception d’une étude de l’Institut national japonais de la santé publique, la recherche montre que la quantité de cancérogènes connus dans l’aérosol de l’e-cigarette est bien moins grande que dans la fumée de cigarette, car les concentrations sont plus faibles et les goudrons et le monoxyde de carbone sont absents.
Le marché de l’e-cigarette, avec ses 460 marques de par le monde, est jeune et encore sujet aux douleurs de la croissance. La façon la plus désirable de gérer ces difficultés est de laisser le marché sélectionner les meilleurs fabricants tout en établissant des exigences de sécurité élémentaires. Déjà, certains fabricants produisent sans ambrox et parabène. Des marques avec leurs réputations sont en train d’être bâties. On a d’ailleurs pu observer une évolution favorable de la qualité des liquides depuis 2009, notamment avec de plus en plus de fabricants utilisant des composants de qualité pharmaceutique. Si les fabricants et les distributeurs n’obtiennent pas la protection de la réglementation (et le lobbying se fait déjà sentir aux États-Unis et en Europe), le marché continuera à produire une plus grande qualité.
Il est encore tôt pour juger des effets complets de l’e-cigarette. Cependant, même si les nouvelles technologies posent souvent des questions, ce n’est pas une raison pour les interdire. Aujourd’hui, on sait que le risque de l’e-cigarette n’est pas nul, mais il est faible relativement à la cigarette traditionnelle. Même si la consommation de nicotine n’a rien de vertueux, rappelons que la recherche du mieux peut souvent devenir l’ennemi du bien (même si ce dernier est relatif).
Frédéric Sautet est chercheur associé à l’Institut économique Molinari et auteur de «Fumer ou vapoter : la révolution de la consommation du tabac et de la nicotine».