La concurrence sur le marché postal : une chance !
Article paru dans Le Temps le 6 juin 2008.
L’ouverture à la concurrence du marché postal suisse suscite certaines craintes. Bien que ce processus soit potentiellement très bénéfique pour les consommateurs, il fait naître des inquiétudes. Contrairement à ce qui est parfois avancé, la concurrence sur le marché est bénéfique pour les consommateurs.
L’ouverture à la concurrence du marché postal suisse suscite certaines craintes. La Poste doit perdre dès avril 2009 son monopole sur le marché des plis d’un poids compris entre 50 et 100 grammes, et en 2012 sur le marché des lettres de moins de 50 grammes. L’ensemble du marché postal sera alors ouvert à la concurrence. Bien que ce processus soit potentiellement très bénéfique pour les consommateurs, il fait naître des inquiétudes, par exemple au sein du syndicat Transfair. Celui-ci prédit des prix plus élevés ou des conditions de travail dégradées. Au contraire, il est en réalité possible de s’attendre à des prix plus faibles et à des services de meilleure qualité, à condition que des barrières à l’entrée artificielles – notamment sociales – ne soient pas créées ou maintenues. Pour produire tous ses effets positifs, la concurrence ne doit pas être à nouveau entravée.
En effet, contrairement à ce qui est parfois avancé, la concurrence sur le marché est bénéfique pour les consommateurs. Dans une telle situation, aucune entreprise ne peut survivre et prospérer à terme si elle ne met pas tout en oeuvre pour servir au mieux ses clients. Sous la pression constante de perdre des clients au profit de ses rivales, chaque entreprise est donc en permanence incitée à innover et à rationaliser sa gestion. La fin du monopole des opérateurs historiques intensifie cette concurrence permettant à tout opérateur d’y entrer pour offrir de nouveaux services créant de la valeur aux yeux des consommateurs.
Dans le cas de l’ouverture à la concurrence du marché postal, les consommateurs – entreprises comme particuliers – pourront donc bénéficier de tarifs plus faibles ou de services de qualité supérieure. C’est ainsi que l’on peut s’attendre à des levées plus fréquentes, à des livraisons plus rapides, ou à la création de nouveaux services.
La Suède par exemple a été l’un des premiers pays en Europe à avoir supprimé son monopole postal pour tous les types d’envois, en 1993. Les résultats en sont très positifs : les services ont évolué et se sont modernisés, la gestion a été rationalisée alors que les tarifs sont restés dans la moyenne européenne. Selon le directeur général de l’Agence nationale des postes et des télécommunications de ce pays, les services postaux suédois « sont devenus l’un des leaders mondiaux ».
Au sein de l’Union Européenne, tous les États-membres ont déjà ouvert leurs marchés postaux à la concurrence pour les envois de plus de 50 grammes et ils devront le faire pour tous les types d’envois avant 2011. La concurrence existante et la perspective de l’ouverture complète à venir ont été des incitations suffisamment fortes pour pousser les monopoles actuels à se réformer en profondeur et à améliorer leurs performances. En France, par exemple, l’opérateur historique a amélioré son taux de livraison à J+1 pour les lettres prioritaires qui est passé de 65.7 % à 82.5 % entre 2003 et 2007. Les indicateurs montrent la même tendance pour les autres types de prestation. Une amélioration similaire des performances est observable aussi en Belgique. L’ouverture à la concurrence et la fin du monopole postal sont une opportunité et non pas un danger pour les consommateurs.
Cependant, pour que la concurrence puisse apporter l’ensemble de ses effets bénéfiques, de nouvelles entreprises doivent pouvoir entrer librement sur le marché postal. À cet égard, certaines législations sociales peuvent agir comme des barrières à l’entrée.
C’est le cas des dispositions qui font augmenter artificiellement le coût du travail. Dans le secteur postal, de telles barrières à l’entrée ont un impact d’autant plus anticoncurrentiel que les charges salariales peuvent représenter jusqu’à 80 % des charges des opérateurs liées à l’exploitation. Toute mesure qui élève donc ce coût fragilise les nouveaux concurrents qui y exercent une activité, ou décourage ceux qui avaient prévu de s’y implanter de le faire.
Les conventions collectives peuvent jouer ce rôle de barrière à l’entrée, en compromettant la rentabilité de certaines entreprises ou leur capacité même à entrer sur le marché. En Suisse, le syndicat Transfair souhaite que la loi impose une telle convention, applicable à l’ensemble du secteur postal. Elle viserait à donner un statut uniforme aux postiers de l’ensemble du pays. Mais elle pourrait aussi menacer les concurrents potentiels de La Poste, créant ainsi une barrière à l’entrée artificielle sur le marché postal suisse. Parler de « libéralisation » ou d’« ouverture totale à la concurrence » n’aurait dès lors plus beaucoup de sens.
Le cas de l’Allemagne permet de s’en rendre compte. L’ensemble du marché postal de ce pays devait être libéralisé au début de l’année 2008. Mais l’instauration en décembre 2007 d’un salaire minimum dans ce seul secteur – une mesure dont les effets sont comparables à ceux d’une convention collective qui est imposée à l’ensemble des opérateurs – a bouleversé le processus initialement anticipé. Ce salaire, compris entre 8€ et 9,80€, est bien supérieur aux salaires qui étaient jusqu’alors pratiqués par les concurrents potentiels de Deutsche Post. Une entreprise comme Pin Group, qui avait prévu d’entrer sur le marché allemand pour y proposer des services postaux, n’a pas été en mesure de supporter le coût de cette nouvelle législation. En quelques mois, ce sont plus de la moitié de ses effectifs qui ont été supprimés, soit environ 5760 emplois.
Un opérateur français, Adrexo Mail, a également dû faire marche arrière à cause de la menace d’une re-réglementation du secteur postal. En mars dernier, il a cessé toutes ses activités dans le secteur du courrier adressé. Au-delà du report de l’ouverture du marché français, initialement prévue pour 2009, mais qui ne sera effective qu’en 2011, la raison donnée par Adrexo Mail concernent bel et bien des « contraintes réglementaires susceptibles d’être appliquées aux opérateurs alternatifs », en particulier sur les marchés allemand et hollandais.
La concurrence est bénéfique pour les consommateurs et ils sont les premières victimes de ce type de mesures anticoncurrentielles qui ne disent pas leur nom. L’imposition d’un salaire minimum postal ou la signature d’une convention collective applicable à l’ensemble du secteur postal les pénaliserait à nouveau de manière significative, tout en empêchant de nouveaux concurrents de venir rivaliser avec les anciens monopoles. Que ce soit en Allemagne, en France ou en Suisse, les consommateurs ne pourraient pas bénéficier des services moins chers et de meilleure qualité que ces nouveaux entrants pourraient leur proposer.
Guillaume Vuillemey, chercheur, Institut économique Molinari