La Federal Reserve et les conséquences non intentionnelles de la politique monétaire non conventionnelle
Texte d’opinion publié le 16 décembre 2015 dans L’AGEFI.
Conformément aux attentes, la FED a remonté pour la première fois depuis presque 10 ans sa fourchette de taux d’un quart de point passant à [0.25% – 0.5%]. Un satisfecit général s’est ressenti sur les marchés. Cette fois la FED a réussi l’exercice de Forward Guidance. Il faut dire que ce n’était pas si difficile, son action avait été anticipée depuis fort longtemps. Mais cette décision est-elle si exceptionnelle ?
La hausse d’un quart de point n’est que le début
Si cette décision est historique, le plus dur pour la FED reste à faire. En effet, elle a adopté depuis 2008 une politique de taux d’intérêt proche de 0 couplée à une politique de Quantitative Easing. Celle-ci visait essentiellement à racheter massivement et régulièrement des titres – à la fois des titres du Trésor mais aussi des titres privés comme les RMBS – auprès d’établissements bancaires. Ces rachats ont eu pour conséquence de multiplier la taille du bilan de la FED par 5 et d’alimenter en liquidités quasi-gratuites à la fois les banques mais aussi, par effet de ricochet, l’ensemble des marchés financiers. En outre, la FED n’est pas la seule banque centrale à avoir adopté une politique monétaire aussi accommodante. La banque centrale du Japon, celle d’Angleterre et plus récemment la BCE ont participé au mouvement sans oublier la banque centrale de Chine dans une certaine mesure. Compte tenu de la place centrale des marchés financiers américains dans la finance internationale, la liquidité nationale et internationale s’est largement investie outre-Atlantique où la capacité d’innovation a pu trouver des financements à bon compte. Pourquoi ne pas se réjouir d’une telle situation ?
Les effets méconnus de distorsion des taux d’intérêt
Sans vouloir jouer les oiseaux de mauvais augure, la sortie du Quantitative Easing ne sera certainement pas chose facile. En effet, c’est tout d’abord la première fois qu’une politique de Quantitative Easing est expérimentée à une telle échelle. Une telle politique cumule deux effets pervers.
Le premier est que le rachat massif de titres provoque automatiquement une augmentation des prix des actifs financiers qui conduit potentiellement à la création de bulles spéculatives. Deuxièmement cumulé à des taux d’intérêt proches de zéro, les conditions sont réunies pour favoriser l’endettement des entreprises et le développement des bulles.
Au sortir des périodes de récession, la demande de financement des entreprises est relativement faible étant donné leur faible niveau de confiance et l’incertitude sur la durée de sortie de crise. Les seules entreprises prêtes à investir ont en général un profil plus risqué. Parallèlement, lorsque les taux d’intérêt sont proches de 0, l’existence de projets risqués permet de satisfaire l’appétit de rendement de certains investisseurs à l’affût de la moindre opportunité. Le financement de projets dont la rentabilité s’explique davantage par le contexte monétaire que par la viabilité économique est alors rendu possible. C’est bien toute la problématique des conséquences de la politique de Quantitative Easing.
Si son objectif est clair et avoué, à savoir assurer la liquidité et la stabilité du système bancaire et financier, il peut être a contrario plus difficile de comprendre l’effet des distorsions de prix qu’elle entraîne et d’en anticiper les conséquences.
La littérature est cependant abondante sur le sujet. La théorie autrichienne, rendue célèbre par Friedrich A. Hayek consacré Nobel d’économie pour Prix et Production en 1974 insiste sur les effets pervers des politiques monétaires accommodantes. En effet, elles déforment la structure de production favorisant l’investissement et donc l’allongement du cycle de production alors que la demande de biens de consommation n’a pas varié. Par conséquent, l’épargne n’ayant pas varié, les ressources sont insuffisantes pour financer les projets entrepris. La politique de Quantitative Easing combinée à une politique de taux d’intérêt zéro conduit inévitablement à des prises de décision erronées en matière de décision d’investissement ce qui fragilise les conditions de la reprise. Aujourd’hui, on sait que nombre de projets ne sont pas viables (et la prudence des entreprises en matière d’investissement l’indique clairement). Par contre, il est impossible d’identifier les projets qui survivront à un contexte de taux d’intérêt positifs.
La Federal Reserve désorientée par des signaux peu fiables
La motivation de la timide remontée des taux par la FED réside avant tout dans sa volonté de ne pas reproduire ce qui s’est passé lors de la grande crise des années 30 où il avait été reproché à la FED d’avoir aggravé la crise par le resserrement du crédit. Car les signaux d’une reprise réelle restent ambivalents. La baisse du chômage n’est pas franche et sans ambiguïté (avec la montée du free-lancing, le mi-temps ou tout simplement le retrait des statistiques), l’absence de hausse des prix généralisée cache une baisse des prix des actifs qui aurait dû avoir lieu et le déploiement des nouvelles technologies aux États-Unis se traduit davantage par une pression sur les prix que par une augmentation de la productivité. Reste que cette augmentation très lente présente le désavantage de faire perdurer des projets dont la rentabilité n’est pas avérée et de permettre le financement de nouveaux investissements accentuant ainsi la déformation de la structure de production.
Pour conclure, si la politique de Quantitative Easing a exploré de nouveaux territoires en matière de politique monétaire, elle n’a malheureusement pas fini d’en découvrir les conséquences, en particulier l’ampleur des activités économiques qu’elle a engendrée « artificiellement » et dont la question de la soutenabilité est aujourd’hui centrale. L’exercice de style est d’autant plus compliqué que l’action de la Fed n’est pas isolée – la Banque centrale du Japon et la BCE continuent elles-aussi à alimenter en liquidités le marché financier international – la distorsion des signaux envoyés par les prix qui en résulte est d’autant plus forte.
Nathalie Janson est chercheure associée à l’Institut économique Molinari.