La meilleure décision de l’État actionnaire, c’est de privatiser
Texte d’opinion publié le 2 février 2016 dans Les Echos.
Alors que la fusion de Bouygues et Orange se précise, nombre de critiques s’élèvent au motif que l’État ne devrait pas abdiquer au privé les secteurs stratégiques. Dans ce cas précis, le rachat de Bouygues Telecom par Orange pourrait entraîner – s’il était financé par la vente de titres – une dilution des parts de l’État, aujourd’hui actionnaire d’Orange à 23%, au profit de Bouygues dont l’influence pèserait inévitablement sur la gestion du groupe.
Derrière cette crainte repose implicitement l’idée que l’État demeure le seul gestionnaire à même d’assurer le triple objectif de rentabilité, protection de l’emploi et garantie de l’intérêt général. Mais en est-on bien certain ? En réalité, l’histoire récente fourmille de contre-exemples aussi nombreux qu’éloquents. Rappelons simplement les plus symboliques. En 1984, la mauvaise gestion de Renault, favorisant le maintien des effectifs et des salaires au détriment des rendements, entraîna des pertes de 23,4 milliards de francs (6 milliards d’euros) et nécessita un prêt exceptionnel de 12 milliards de francs supplémentaires (près de 3 milliards d’euros). De même, le sauvetage des Charbonnages de France nécessita près de 10 milliards d’euros d’aides publiques entre 1980 et 1990. En cause, des embauches non maîtrisées. Les erreurs de gestion ainsi que des coûts salariaux excessifs étaient aussi au cœur des crises de la SNCF en 1985 et de la Société française de production audiovisuelle (SFP) dans les années 1990.
Au-delà des défaillances de gestion, les faiblesses stratégiques de l’État furent mises en causes à de nombreuses reprises. En 1995, la Cour des Comptes mit en évidence les décisions « exagérément risquées » prises par l’État dans l’affaire du Crédit Lyonnais. Le même constat s’imposa pour la SNCM. Dans ces deux situations, comme dans le cas de la SFP, l’État n’eut d’autre choix que de privatiser pour éviter la faillite. Voilà une leçon étonnante ! Lorsque l’État échoue, il privatise et les entreprises, certes restructurées, survivent. Preuve que l’État n’est en rien un meilleur gestionnaire que les entrepreneurs privés, ni en termes de rentabilité, ni en termes de maintien durable de l’emploi.
Loin d’impliquer l’incompétence de l’État, cette réalité tient au fait que, contrairement aux dirigeants et actionnaires privés, l’État poursuit nécessairement des objectifs conflictuels voire contradictoires. Inévitablement, il doit ménager les syndicats, composer avec les intérêts particuliers des hauts fonctionnaires, s’attirer les faveurs des consommateurs et protéger les employés ; tout cela, sans entraver la croissance des entreprises. Bref, une mission presque impossible, peu importe la bonne volonté et les qualités des décideurs. Or, l’ampleur de la tâche est d’autant plus grande que la situation économique nationale est mauvaise.
Aujourd’hui, l’activité est en berne, les caisses publiques sont vides et le chômage augmente. Dans ces circonstances, un État « multitâche » fait face à des difficultés insurmontables. Désireux de conserver son pouvoir de décision dans Orange, il serait contraint d’obliger l’entreprise à s’endetter pour financer l’achat de Bouygues Telecom. Mais cette stratégie, déjà appliquée lors du rachat d’Orange par France Telecom avait contraint l’entreprise à contracter une dette de 70 milliards d’euros, un record mondial. Par ailleurs, même dans l’hypothèse où une telle dette serait acceptée par le contribuable et par les actionnaires privés d’Orange, il faut rappeler que lorsqu’il manque d’argent, l’État a la fâcheuse habitude de puiser dans les caisses de ses entreprises, au détriment de leur activité et du bien-être des consommateurs. Comme le note la Cour des Comptes dans son « Budget de l’État en 2014 », sur les 12 plus grandes entreprises gérées par l’Agence des participations de l’État, 9 ont des taux de distributions de dividendes plus élevés que leurs homologues privées du CAC 40. Plus grave encore, l’État s’est octroyé des dividendes lorsque les résultats de ses entreprises étaient négatifs, démontrant ainsi sa volonté de privilégier son désendettement à court terme au détriment de l’intérêt de long terme des entreprises et des employés.
Les thuriféraires de l’État actionnaire devraient étudier son histoire récente, ils réaliseraient alors cette vérité économique : l’État ne peut pas tout faire. Entre veiller au bon fonctionnement du marché et participer à l’activité, il faut choisir.
Pierre Bentata est chercheur associé à l’Institut économique Molinari.