Au secours ! Les banques centrales sont devenues folles ! ou les effets pervers de leur hyper-activisme !
Texte d’opinion publié en exclusivité sur le site de l’Institut économique Molinari.
Le grand mérite du dernier ouvrage de Patrick Artus et Marie-Paule Virard, La folie des banques centrales, est de mettre les pieds dans le plat : à quoi s’amusent les banques centrales aujourd’hui? Leur action n’est-elle pas en train de dépasser largement le champ de leurs prérogatives? Ont-elles une compréhension claire de la conséquence de leur action? Leur hyper-activisme n’est-il pas en train de créer le terreau de la prochaine crise?
Les trois premiers chapitres de l’ouvrage font le récit de la mise en place des politiques monétaires non conventionnelles en réaction à la crise des subprimes et les dérives et excès qui en sont nés.
Tout d’abord il est important de préciser que les auteurs ne remettent pas en cause la pertinence des politiques monétaires non conventionnelles adopté par la Fed suite à la crise des subprimes en 2007. Il le fallait pour endiguer une crise de liquidité sans précédent et éviter le pire. En revanche son action prolongée jusqu’à la fin de 2014 et les décisions d’autres banques centrales comme la Bank of Japan et la BCE de lui emboîter le bas sont plus critiquables. En effet, la prolongation de la politique non conventionnelle couplée à la politique de taux zéro a des conséquences pernicieuses non seulement sur les marchés mais aussi sur l’économie à cause de la déformation de la courbe de taux qui s’aplatit en raison de l’intervention de la banque centrale sur l’ensemble des maturités au lieu de se cantonner aux maturités inférieures à un an et l’écrasement des primes de risque. Les banques centrales sont en train d’entretenir des bulles qui dès lors que les taux remonteront, éclateront. De surcroît, elles entretiennent des taux d’intérêt négatifs qui accentuent la déformation de la courbe des taux conduisant à des décisions d’investissement erronées Ayant peur des conséquences, elles hésitent à stopper pour les unes – banque centrale Européenne et japonaise – la politique monétaire non conventionnelle et pour la FED à remonter de façon décisive les taux d’intérêts.
Si la contribution majeure de ce livre est de constater les effets pervers de l’hyper-activisme des banques centrales, en revanche leur analyse approfondie est absente. Ils se limitent à mentionner la création de bulles. Ils négligent en effet de développer un concept crucial, celui du malinvestment. En effet, la politique non conventionnelle menée depuis presque 10 ans aux USA a l’inconvénient d’avoir facilité le financement de projets d’investissement qui ne l’auraient pas été avec des taux positifs. Ce concept clef de malinvestment cher à des économistes comme Ludwig von Mises et Friedrich A. Hayek, est un concept puissant qui explique la distorsion de la structure de production par l’inadéquation du taux d’intérêt de marché avec le taux d’intérêt correspondant aux préférences temporelles des individus. Dans ces conditions, un taux d’intérêt maintenu « artificiellement » bas provoque une déformation de la structure de production via l’investissement alors que l’épargne réelle n’a pas augmentée. Une telle distorsion débouche inévitablement sur une crise puisque le cycle d’investissement est à cours de financement faute d’épargne réelle. Transposer dans notre réalité le problème est encore plus complexe car nous vivons dans des économies ouvertes où l’insuffisance d’épargne locale peut être compensée par des excédents venus d’ailleurs ce qui signifie que la fin du cycle peut prendre du temps. En outre, en raison de la mondialisation des flux et de la multiplication des politiques non conventionnelles, il est difficile d’identifier les secteurs touchés par le malinvestment – le secteur du gaz de schistes aux USA est largement suspect à cet égard.
Pour une meilleure politique monétaire…
Dans les deux derniers chapitres, les deux auteurs s’emploient à formuler ce que serait une « bonne » politique monétaire. Ils partent du constat que le mandat actuel des banques centrales est totalement caduque étant donné l’absence d’inflation. Selon eux, il serait urgent de sortir les banques centrales de la logique monétariste. Il faudrait redéfinir la politique monétaire en cohérence avec les préoccupations du moment, notamment celle de la stabilité des marchés. Cependant, les auteurs semblent en porte à faux. Si les banques centrales sont responsables de générer des effets pervers et ont un pouvoir illimité, en quoi ajouter la stabilité des marchés financiers à leurs objectifs conduirait à la modération de leur action ? En effet, les auteurs se retrouvent dans une position théorique délicate puisqu’à la fois ils ont un regard critique sur les politiques monétaires des banques centrales et en même temps, ils les jugent essentielles au bon fonctionnement de l’économie. Ils tentent de donner de la cohérence à leur analyse en blâmant le manque de coordination entre politique monétaire et politique fiscale – de leur point de vue, la principale faiblesse structurelle de l’Euro à laquelle il serait bon de remédier. Néanmoins, l’exemple américain n’étant pas davantage probant, ils défendent la nécessaire coordination des politiques monétaires au niveau international à travers le FMI. La solution pour redéfinir une politique monétaire efficace résiderait à la fois dans le changement de mandat pour y enlever toute mention d’inflation qui n’est plus pertinente aujourd’hui et dans la coordination avec la politique fiscale locale et au niveau international.
Pour ce qui du changement de mandat, les auteurs partent d’une analyse erronée lorsqu’ils estiment que l’inflation n’est plus un problème aujourd’hui et qu’elle appartient au monde d’hier. Or, l’inflation n’a pas disparu parce qu’en réalité la déflation qui aurait dû suivre la crise des subprimes a été très modérée. Les banques centrales par leur action ont empêché les prix de baisser. D’autre part, la « nouvelle économie » exerce une pression à la baisse sur les prix. Pour finir, les politiques de Quantitative Easing menées par les banques centrales contribuent à masquer l’augmentation des prix parce que ces phénomènes se produisent en même temps.
En ce qui concerne, la nécessaire coordination des politiques, c’est une vision plutôt naïve de la coopération entre pays. Pourtant la crise grecque nous a montré combien il était difficile de se mettre d’accord entre les pays d’une même zone monétaire sur la « bonne » politique économique à suivre – entre les pays nordiques contre l’augmentation des dépenses publiques et les pays du Sud en faveur. Comment est-il possible de croire qu’une telle coordination marcherait au niveau international?
Quant à la nécessaire coordination de la politique monétaire et fiscale, les auteurs ont-ils la mémoire courte et oublié pourquoi le monétarisme a dominé la politique monétaire après la période d’inflation des années 70? Sont-ils assez naïfs pour penser que le gouvernement poursuit une politique économique pour le seul bien du pays et ne serait pas tenté si les moyens lui étaient donnés de relancer l’inflation à plein avec son lot d’effets délétères pour l’économie?
Nathalie Janson est chercheure associée à l’Institut économique Molinari.