L’abécédaire de Jean-François Revel
Texte d’opinion publié en exclusivité sur le site de l’Institut économique Molinari.
J’ai la chance d’avoir sur mon bureau ce livre composé d’un florilège de la plume de Jean-François Revel. Je n’ai pas eu la chance de le rencontrer, mais j’ai eu l’occasion de le lire. Dans mon entourage, certains le considèrent comme un héros, d’autres admirent des capacités presque surhumaines à parler politique, œnologie, cuisine ou paris hippiques. Bref, un grand Homme dont je me suis souvent demandé ce qu’il pourrait bien penser de la situation actuelle et quels mots, il aurait choisi pour décrire la situation actuelle : l’élection de Donald Trump, le Brexit, le scandale entourant la candidature de François Fillon, le logiciel Alpha Go battant le meilleur joueur de Go, etc.
Il est indéniable que sa plume acérée et son esprit curieux auraient apporté un peu de fraîcheur aux débats actuels. À plusieurs reprises, je me suis surprise à ouvrir l’abécédaire réalisé par Henri Astier, Pierre Boncenne et Jacques Faule, pour savoir quelle avait pu être l’opinion d’un JF Revel à propos d’un sujet ou un autre.
Récemment, ma fille me demande le sens d’une citation du Petit Prince de Antoine de Saint Exupéry. Je me retrouve obligée de lui avouer que je n’en ai jamais vraiment bien compris la signification dont on m’a pourtant dit qu’elle était profonde. Et voilà que JF Revel me soulage grandement en écrivant « c’est Saint-Ex, qui a révélé aux Français qu’une ânerie verbeuse devient profonde si on la fait décoller du sol pour l’élever à sept mille pieds de haut. »
Impitoyable à l’égard de Saint Ex, il est aussi réaliste sur lui-même. Dans une longue entrée concernant son penchant dangereux pour les paris hippique, il souligne qu’il a tout fait et conclut « j’entrais peu à peu dans un état d’apesanteur, dans l’euphorie silencieuse et bienveillante du parieur qui, entouré d’aveugles, se sait et s’éprouve infaillible (état dangereux pour les jours suivants. »
Sur des sujets plus politiques, certains de ses constats sont intemporels. Quand il affirme « le grand phénomène dans l’antilibéralisme, c’est la convergence entre l’extrême droite et l’extrême gauche », les programmes des candidats Mélenchon et Le Pen aux élections présidentielles de 2017 lui donnent encore raison.
Quand encore il décrit que le « droit au succès dans les examens est de plus en plus placé sur le même plan que le droit à la sécurité sociale, aux vacances, à la retraite » et conseille de « faire décerner le baccalauréat directement par les associations d’élèves », il faut saluer un constat fait en … 1966.
Enfin et pour terminer sur une réflexion visionnaire à découvrir dans cet abécédaire, JF Revel à propos de l’État résume bien une question fondamentale de notre temps : « il y a incompatibilité entre l’État national, de plus en plus égocentrique, et les modes d’action adaptés au caractère mondial des problèmes les plus importants que doit résoudre aujourd’hui l’humanité. Étant, par vocation, de plus en plus centralisateur, l’État ne laisse guère d’autre voie aux minorités se sentant, à tort ou à raison, opprimées que de se révolter pour fonder de nouveaux Etats nationaux, ce qui accélère chaque jour et risque de prolonger à l’infini la fragmentation du monde. »
Jean-François Revel fut un auteur prolifique que le volume de ses écrits peut intimider. Une bonne entrée en matière est cet abécédaire à l’humour décapant. Il est disponible ici.
Cécile Philippe est directrice générale de l’Institut économique Molinari.